17/09/2024
Un petit débat est apparu dans les commentaires d'une de nos publications. Pourquoi est-ce que les outils à mains ont été abandonnés, ainsi qu'une grande partie du savoir-faire lié à leur production et utilisation ?
L'une des réponses les plus courantes, est que c'était trop dur, et que cela prenait trop de temps d'utiliser les outils à main.
En réalité, c'est la cadence et le rendement que l'on a demandé du travail humain (et animal) qui est devenu peu à peu insoutenable. Dire que le travail manuel n'est pas valable parce qu'on ne peut pas fendre 25 stères par jour à la main est comme dénoncer l'incapacité d'une abeille à produire un pot de miel d'1kg seule en une année.
Nous ne sommes pas physiquement prévus pour produire davantage que les besoins de nos familles et quelques amis. Notre capacité naturelle à être plus ou moins efficaces dépend totalement de l'outil que nous utilisons.
Lorsque nous utilisons la machine, nous entrons en conflit avec l'équilibre naturel des choses. Il semblerait même qu'actuellement notre surplus d'efficacité pose problème : on peut tellement produire et consommer que nous en devenons anxieux, obèses, que notre Q.I. baisse et que de nouvelles maladies apparaissent.
Les outils ont été abandonnés car notre culture paysanne a été souillée, humiliée. Mon arrière grand-père avait honte d'avoir des haies autour de ses champs et de travailler avec des chevaux, alors qu'on lui montrait à l'école les plaines américaines cultivées au tracteur et à la moissonneuse.
Nos ancêtres n'ont pas décidé de passer au tracteur, on leur a vendu un tracteur, on leur a dit d'envoyer leurs enfants en ville pour qu'ils ne finissent pas bouseux puis on leur a demandé de nourrir le monde en n'étant plus 80% de la population, mais 2%.
Ainsi au petit matin on n'entendait plus les faux être battues pour les fenaisons. On ne sarclait plus les champs avec les voisins et 3 générations. Les enfants ne glissaient plus en riant du haut des grandes meules dressées par leurs ainés. Et puis un jour, on ne chanta plus, on ne s'habilla plus comme notre communauté l'avait toujours fait, on ne veillait plus et on ne contait plus l'histoire vernaculaire. On n'apprenait plus aux jeunes à aiguiser une faux, une hache, abattre un arbre, faire des fa**ts. Ils devaient partir loin où s'endetter pour ne pas finir "ploucs, péquenots, bouseux" et tellement d'autres termes inventés pour humilier les paysans et en faire des travailleurs.
Nous sommes devenus des américains, avec quelques restes de la culture locale ici et là, ce qui donne parfois le goût bizarre de mélanger deux aliments qui ne vont pas ensemble.
Aujourd'hui, ce besoin de reprendre les outils en main, c'est l'envie de refaire ensemble, de retrouver un outil qui nous rend efficace, qui nous fait réfléchir aux moyens de faire toujours plus avec moins (le bon sens paysan).
Le plus beau, c'est que nos machines sont devenues tellement gourmandes et complexes, avec des normes de plus en plus difficiles à appliquer (temps de travail limité lié aux vibrations, au bruit, à la capacité des batteries, à l'humidité du sol...), que les outils manuels en deviennent plus efficaces par leur simplicité.
Je peux parler de nos clients élagueurs qui me parlent du travail au sol à la hache et à la serpe, en me certifiant aller aussi vite qu'avec une tronçonneuse sans tous les inconvénients.
Mais aussi des viticulteurs et viticultrices qui fauchent dans leurs vignes et défient quiconque d'aller aussi vite qu'eux (sans blesser les ceps) à la débroussailleuse.
Ou encore des maraîchers en zones montagneuses, où machines et animaux passent difficilement tous les mois de l'année pour pouvoir travailler : la houe ne les laisse jamais tomber.
Tableau : George Faulkner Wetherbee - The Harvest Moon
PS : Attention, je ne veux pas être passéiste ici. Je suis simplement convaincu qu'avec toutes les avancées des 2 derniers siècles sur la santé, la philosophie ou encore les sciences de la vie ; nous pourrions refaire un lien bénéfique avec les savoirs du passé, ne serait-ce que pour retrouver notre foi en le collectif, un équilibre naturel, une force insoupçonnée.