25/02/2024
CV bien
Je soupire de bien-être et je ferme les yeux. Ce lit est tellement douillet. Le sommeil m’emporte rapidement. Je fais des rêves dans lesquels je suis en train de courir sur une jolie plage, je me prélasse dans le sable chaud. Tout est bien, tout est merveilleux jusqu’à ce qu’une sensation de froid me fasse sursauter. Toujours allongé dans le sable, j’ai l’impression de voir l’eau venir vers moi et recouvrir mon corps. Je me retrouve rapidement à patauger sur place. Je me débats pour sortir de cette immense eau froide. J’ouvre les yeux quelques instants plus t**d. La sensation sur mon visage est étrange. Je lève lentement la main et je passe mes doigts sur ma peau. Mon visage est mouillé. Je tourne la tête et je regarde devant moi. D’abord le bassin, puis les jambes attirent mon attention et je fronce les sourcils. Avant que je n’aie le temps de pousser un soupir, la voix de ma mère se fait entendre.
- N’as-tu pas honte ? Une fille de ton âge est encore couchée à cette heure dans le lit. Au lieu de chercher ta vie, tu passes ton temps à dormir et à ne rien faire dans cette maison.
Je me retiens de maugréer et je fronce le visage. Je me retourne ; l’oreiller est mouillé. Ma mère m’a versé de l’eau d’où la sensation de noyade.
- Tu n’as même pas honte ! Tu es là, à somnoler dans ce lit au lieu d’être à ton travail. Que fais-tu d’ailleurs dans cette maison en ce moment ?
Je m’étire.
- Je suis à la maison, maman. Tu le vois bien.
- Ce n’est pas ce que je te demande. Tu te dois de chercher un travail et de subvenir à tes besoins. Il faudrait que tu comprennes que la vie en société, ce n’est pas fait pour les rêveurs.
- Comment pourrais-je m’en sortir dans ce monde où toutes les personnes qui réussissent le font par des pistons ?
- Laisse tomber ces excuses. Des gens réussissent sans être cotés par qui que ce soit, mais juste en travaillant. Ce n’est pas en restant dormir ici tout le temps que tu parviendras à quoi que ce soit. Il faudrait que tu aimes utiliser tes mains, que tu puisses être utile à la société au lieu d’être tout le temps là à dormir.
Je fais la moue et je fronce le visage.
- Maman, dormir est un besoin naturel. Pourquoi me persécutes-tu autant au lieu de me laisser vivre ?
- Tu ne cesseras jamais de te plaindre, mais tu devrais être plus battante. Si tu peux te reposer dans ce lit, c’est parce que ton père a travaillé et économisé que nous avons pu louer cette maison. Mais tu es là toujours à dormir comme un petit cochon.
- Mais maman, je lance, la mine froncée, offensée, je n’ai pas de travail !
- Il n’en manque pas dans cette maison. Dépêche-toi, sinon ce n’est plus seulement un gant mouillé que tu recevras sur le visage, mais bel et bien tout un seau d’eau.
Je râle en regardant ma mère sortir de ma chambre. Elle est toujours là à me saper le moral. J’en ai marre d’être harcelée pour cette affaire de travail. Ne peut-on pas simplement me laisser vivre ma vie ?
*
**
Je marche lentement sur le chemin. Je suis alors bousculée au niveau de mon épaule droite. Je fronce déjà les yeux, prête à râler. Je reconnais alors Rosie, la nouvelle stagiaire. Elle me sourit et je lui rends son sourire.
- Nelly, tu devrais te dépêcher. Nous sommes déjà en ret**d.
Vêtue d’une chemise blanche, d’une jupe noire et des ballerines comme moi, elle est prête à courir un marathon ; ce qui n’est vraiment pas mon intention ce matin. Je n’ai pas envie de transpirer, me fatiguer ou de faire quoi que ce soit qui me mettrait dans un état d’épuisement et recouvrirait mon corps de sueur. Elle m’attrape le bras et me tire vers l’avant.
- Dépêche-toi, allons-y.
- Mais lâche-moi ! Je ne suis pas pressée.
Elle ne s’intéresse pas à mes protestations et me tire toujours vers l’avant. Je suis obligée de marcher aussi vite qu’elle. Nous nous retrouvons ensemble devant l’agence de téléphonie mobile dans laquelle nous faisons actuellement un stage. Elle fait un stage académique dans le cadre de son master en sciences des télécommunications tandis que je suis dans un stage professionnel. Je rêve de terminer dans un grand bureau et de faire ce qu’il me plaît. La notion de travail ici est assez cool, surtout qu’on voit des clients de toutes les classes de la société. Mais aussi de nombreuses personnes nanties. Je sais que dans cet endroit, je parviendrai sûrement à trouver l’homme de ma vie, un homme riche qui fera en sorte que je ne travaille plus et qui s’occupera de tous mes besoins.
Je suis une belle femme, je le sais. Les vêtements me vont super bien. Même cette tenue qui m’a été donnée, je l’ai retouchée à ma taille. Lorsque je passe, j’aime bien rencontrer le regard ravi des hommes, comme à cet instant où je salue mes collègues et supérieurs. Monsieur Tala, celui qui est mon superviseur, m’a fait des avances, mais je ne le trouve pas assez bien pour moi. Après son salaire et les engagements qu’il a déjà, il n’est même pas capable de me payer un déjeuner pendant une semaine. À quoi bon m’att**der sur son cas ?
Je me sépare de Rosie qui va immédiatement prendre sa place à la réception. Je vais à l’étage supérieur où je suis chargée de faire signer et transiter les dossiers qui ont des litiges présentés à l’agence.
La matinée avance lentement, un peu trop lentement à mon goût. À un moment, lasse de me tenir debout près de la salle d’attente, je m’éclipse discrètement. Sur la pointe des pieds, je marche vers la salle qui sert d’archives à cet étage. Je referme la porte derrière moi. J’empile trois cartons de documents sur lesquels je m’installe. Je m’adosse sur l’armoire derrière moi. Je ferme les yeux, les bras joints sur mes cuisses. Je ferme les yeux. Je profite pleinement de ce moment de quiétude. C’est tout simplement parfait.
Il n’est pas encore 10h, mais je tombe déjà de fatigue. Il y a trop à faire dans cette entreprise et pas assez de personnes pour le faire. Comment peut-on compter sur moi pour accomplir autant de tâches, pourtant il y a de nombreux jeunes là dehors qui souhaiteraient avoir un emploi ? Nous pouvons très bien faire chacun une tâche. Je serai là pour accueillir les clients, une autre personne pour recevoir les dossiers et les distribuer dans les bureaux. Et… Je ne sais pas. Bref, je ne peux pas trop me fatiguer.
- Où te crois-tu, Nelly ?
Je sursaute et j’ouvre les yeux. Mon geste est si brusque que je bascule des cartons et j´atterris lourdement sur le sol. Mon fessier fait mal, je me retrouve à genoux. Je cherche aussi bien à prendre conscience de ce qui se passe autour de moi qu´à calmer la douleur. Je regarde mon supérieur qui se tient debout devant moi.
- Je savais que je te trouverai ici, me dit monsieur Tala d’un ton sévère. Tu es toujours en train de fuir le travail et je n’apprécie pas cela. Sache que tu ne le feras pas très longtemps.
- Je travaillais, monsieur. J’étais juste en train de…
- Cesse de mentir ! Tu ne faisais rien.
Il me toise et quitte la pièce. Je fais des grimaces et je me moque de lui. Que peut-il bien me faire ? Je me lève avec peine, je frappe sur mon vêtement pour retirer la poussière qui s’est attachée dessus et je rejoins le couloir. Plusieurs personnes se tiennent là et attendent d’être orientés. Etaient-elles obligées de tous venir aujourd’hui ? Je marche vers eux, la mine déjà serrée, agacée de devoir gérer tout ce travail.
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Extrait de la nouvelle "Amour du travail" tirée du livre : LES SEPT VERTUS : ARCHITECTE DE SA VIE.
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