15/03/2017
Voilà maintenant plusieurs mois que nous sommes rentrés, cela me paraît être le bon moment pour faire le point sur ce périple.
C’est pour Dardo que le voyage a été le plus difficile. Il n’est déjà pas aidé par ses origines, la race lusitanienne n’étant pas vraiment recherchée pour son endurance et sa robustesse. C’est à son rythme que nous avons progressé. Il lui a fallu passer beaucoup de caps, tant psychologiques que physiques. De tempérament plutôt anxieux et « sur l’œil », il a appris à faire confiance pour passer les différents obstacles que nous avons été amenés à traverser. Ce n’est qu’après environ deux semaines de voyage qu’il a semblé prendre du plaisir à faire ce qu’il faisait : il avançait avec plus d’entrain, paraissait plus curieux des choses nouvelles. Mais au bout de quatre semaines de voyage, il avait maigri et j’ai donc dû me résoudre à le complémenter en grains ; cela a un peu compliqué mes recherches d’endroit pour la nuit, devant trouver une écurie ou une ferme ayant au moins de l’orge le plus souvent possible. Avec ça, il a récupéré son poids de départ !
Praline, elle, ça a été la force du groupe. Courageuse, infatigable et solide, elle a entrepris ce périple avec une facilité déroutante. Ses origines arabes (connues pour leur endurance) l’ont certes aidée, mais je ne pense pas que c’est uniquement grâce à cela. Elle a un mental très fort, rien ne l’arrête, peu importe la difficulté, elle a toujours trouvé comment s’en sortir.
Elle a pris le départ du voyage un peu en surpoids, avec peu de condition physique. Je craignais pour elle au début du voyage et j’ai voulu commencer avec très peu de kilomètres par jour. Mais je me suis vite rendue compte que le travail demandé, la chaleur de certains jours, les gros dénivelés de la frontière franco-suisse ne semblaient pas la fatiguer le moins du monde. Le soir, elle partait systématiquement au galop lorsque je les mettais dans un pré, même après avoir marché 30 kilomètres dans la journée. C’est elle qui, le matin, s’impatientait si j’étais un peu en re**rd sur le programme. Elle a véritablement été le pilier de la troupe. Sans Praline, je ne pense pas que nous serions arrivés au bout…
Je crois que ce voyage n’a pas seulement été bénéfique pour les chevaux et moi. C’était incroyable de voir comme cela a égayé la journée de beaucoup de personnes de nous voir arriver pour demander le gîte. Il y a également ceux qui ont été marqués un peu plus profondément pas les chevaux. Dardo et Praline ont, par exemple, (re)donné envie à quelques personnes de se (re)mettre à cheval, ils ont aussi redonné confiance à deux dames qui avaient chuté si fort qu’elles avaient commencé à avoir peur de leur cheval, ou bien encore Dardo qui a offert quelques minutes sur son dos à des enfants. Et puis, ces gens qui ont à peine voyagé dans leur vie, qui ne connaissaient presque rien à part leur village, qui me regardaient comme une extraterrestre au début mais qui ont, finalement, réussi à passer par-dessus leurs préjugés et leurs inquiétudes. Et lorsque le temps était venu de partir, je sentais que nous quittions les lieux en laissant un petit quelque chose… Ces personnes-là m’ont envoyé un message chaque semaine pour connaître ma position et pour savoir si ça allait.
Et puis il y a aussi ceux qui m’ont dit que si un malheur arrivait, ils viendraient me chercher avec les chevaux sans hésitation. Ceux qui s’inquiétaient tellement que je ne sache pas encore où dormir la nuit suivante, bien que cela soit l’une des choses que j’ai recherchées en partant de la sorte, faisaient des pieds et des mains pour me trouver un endroit chez des amis ou connaissances. J’ai pu me rendre compte de la générosité dont pouvaient faire preuve les gens que j’ai rencontrés sur ma route.
C’était devenu amusant de voir les différentes manières de réagir lorsque nous arrivions dans les écuries, les fermes ou chez des particuliers. Avec certains, il me fallait discuter, expliquer, argumenter pour peut-être avoir la chance de rester pour la nuit. Puis avec d’autres, je n’avais même pas le temps de finir de me présenter qu’ils me disaient déjà où je pouvais installer les chevaux et dormir. Cela paraissait totalement normal pour eux.
Quant à moi, ce voyage m’a changée. J’ai appris à d’autant plus apprécier ce à quoi nous sommes habitués ici, les petites choses, comme les plus importantes. Le fait de se retrouver seul avec soi-même, tous les jours, et souvent n’avoir que le bruit des sabots des chevaux pour briser le silence, cela amène à réfléchir à ces questions qu’on laisse souvent de côté. Avant de partir, je pensais être quelqu’un de solitaire qui n’avait pas besoin des autres, tant que les chevaux étaient présents. Je me suis vite rendue compte que ça n’était pas le cas, du moins pas durant un périple pareil. Certains jours, l’effort était tel que je ne rêvais que d’une chose : arriver chez des gens accueillants et pouvoir parler, juste parler.
Chaque jour avait son lot de difficultés : soit la pluie, soit la chaleur, soit le goudron qui n’en finit pas, soit le terrain très accidenté avec des obstacles plus ou moins difficiles pour les chevaux (et pour moi). Si bien que finalement, j’ai commencé à avoir des doutes : l’effort demandé est-il juste ? Garderont-ils cette envie, cette confiance jusqu’au bout ? Ai-je le droit de leur demander ça juste pour accomplir un rêve ? Moi, je n’ai pas le droit de me plaindre, c’est ce que j’ai toujours voulu, mais les chevaux ?
Ces questions revenaient souvent dans ma tête. Mais, les chevaux suivaient sans se poser de questions, allaient où j’allais, continuaient toujours à avancer sans jamais broncher. Je pense que c’est une preuve suffisante pour dire que cela a été une expérience positive pour eux.
Nous sommes aujourd’hui de retour à la maison. La vie continue. Avec un petit quelque chose en plus et une envie encore plus intense de repartir.
Je pense que chacun, à sa manière, devrait effectuer quelque de similaire ; se retrouver seul et partir.
Ce voyage m’a ouvert l’esprit et m’a prouvé que sans les personnes qui nous entourent, nous ne sommes pas grand-chose…
Je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont aidée avant, pendant et après ce voyage, tous ces gens qui m’ont ouvert leur portes (pour une nuit ou pour quelques jours) et tous ceux qui ont donné pour ce voyage.
Si la fin n’était pas celle espérée, que trouver une place en Irlande accompagnée de deux chevaux a été impossible, ce n’est que partie remise, avec peut-être un autre pays en guise de destination… !
Photo : Sophie Brasey