08/02/2023
There’s a long way to go still…
Donner son avis… ou pas… je ne suis pas inscrite au Vendée Globe 2024, ni mère… Mais le problème est tellement plus vaste que la maternité dans la voile.
38 ans. Il m’aura fallu 38 ans pour comprendre, et commencer à mesurer l’ampleur du problème.
Tellement obsédée par le problème d’être la « fille de » que je ne voyais même pas le problème d’être une femme dans la voile.
Je pensais que si une femme voulait naviguer, elle navigue. Nous avons tellement de caractère, tellement de volonté, que si nous voulons quelque chose, nous l’avons. Au pire nous déplacerons 2, 3 montagnes, mais nous l’aurons.
Aveugle. J’étais sourde, et aveugle. Et depuis quelques années, j’ai commencé à ouvrir les écoutilles, les autres femmes sont venues me raconter leur parcours, et j’ai aussi ouvert les yeux sur ma propre expérience.
A 38 ans, je suis capitaine d’un maxi de 22m, et d’un équipage de 25 personnes. Actuellement dans l’arc antillais pour aller courir la Caribbean 600, au moment du contrôle de la douane, 2 fois sur 3, je dois convaincre l’agent des douanes que je suis bien la capitaine, et la propriétaire. Idem en métropole, que ce soit dans les salons parisiens ou ailleurs. « Vous êtes capitaine mais qui est vraiment en charge ?» En général, un lance-flamme sort de mes yeux.
J’ai arrêté de compter les blagues de certains fournisseurs, qui clairement n’auraient jamais eu ce type d’attitude avec un homme de 50 ans. Mais ça je suis habituée, le monde du cheval n’est pas plus tendre avec nous.
Et tellement d’anecdotes :
Je tairai le nom du partenaire de l’IMOCA actuellement en course sur The Ocean Race (course autour du monde en équipage) qui a fait embarquer une « good looking girl » avec une grosse communauté Instagram plutôt que d’embarquer une autre navigatrice plus compétente. Oui. En 2023, on en est là. En 2023, on en est à devoir mettre des quotas de femmes dans les courses (Obligation d’embarquer une femme dans l’équipe). Résultats : la transat en double Paprec (ex Transat AG2R) peine à avoir plus de 4 bateaux et beaucoup d’équipières de l’Ocean Race furent recrutées au dernier moment.
Pour les médias nous devons sourire, être belles, lumineuses, ouvertes, rayonnantes, de vraies bulles de champagne. Pourtant on ne demande jamais ce genre d’attitude à Francis Joyon, ou Yves le Blevec, qui eux, ont le droit d’avoir de « vraies gueules de marins burinées par le vent ». Pourtant, nous sommes tous marins, avec donc un ADN commun et souvent un foutu caractère. Mais c’est aussi ce qui fait que nous allons courir sur l’eau, que nous avons la force de revenir à terre monter des projets, pourquoi pas même de créer une famille, et repartir.
Alors les femmes sont utilisées, pour des coup marketing, pour leur «fraîcheur» (Devinez qui est consacré Grand Prix Stratégies du Sport en 2021 ?! après que leur athlète aie accroché une 12ème place au Vendée Globe ?). Je ne parle même pas des milieux où le corps des athlètes est exposé, comme le surf et où les sponsors préfèrent la « beauté » aux performances.
Pourtant, que c’est beau la voile... Car c’est un art, en plus d’être un sport, et qu’il y a différentes façons de le vivre et de le raconter. C’est une communauté forte, soudée, que ce soit chez les coureurs, les professionnels de la mer, ou chez les personnes qui voyagent autour du monde. Le métier de coureur au large est un métier magnifique, d’une rare complexité, d’une richesse absolue, pétrie de valeurs humaines, d’élégance, de solidarité, de culture et d’histoire, de codes, et surtout de transmission. Il y a autant de façons de naviguer que de marins, et tellement d’océans à parcourir.
Mais voilà le cœur du problème : pour naviguer, et encore plus pour performer, il nous faut bénéficier de financement des partenaires. Et là… Nous aurons quelques différences dirons-nous. Prenons l’exemple d’une annonce de recrutement : s’il y a un critère demandé que la femme postulante ne sait pas faire, elle ne présentera pas son CV. Un homme, lui, postulera sans hésiter. Pour vendre nos projets, c’est la même situation. Je parlais au début de notre ténacité. Mais heureusement que nous sommes tenaces ! Car pourquoi est-ce que la recherche de partenaires doit être plus dure pour nous ?? Pourquoi ne pouvons-nous pas être prises au sérieux comme les hommes, avec nos différences ? Pourquoi tout doit être toujours plus compliqué ?
Curieusement, les 3 partenaires majeurs de Pen-Duick VI sont des entreprises gérées par des femmes…
L’époque évolue, le public est en soif de récits, d’authenticité, de valeurs fortes, de contenu sur lequel ils peuvent s’identifier, sur lequel ils peuvent en tirer un apprentissage, pas d’histoires fabriquées. Pas de performance à tout prix, mais de l’humanité.
Nous sommes en 2023, et il y a encore des partenaires qui osent dire : « Engagée dans ce sport depuis 34 ans, notre entreprise est attachée aux valeurs de mixité et d’égalité des chances et est déterminée à participer aux travaux nécessaires avec les différents acteurs pour le faire progresser. »
Mouai... « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. »
Sponsors, entreprises, si vous êtes vraiment sur ce combat, alors vous ne faites qu’un avec votre athlète. Vous êtes solidaire, vous le comprenez, vous le soutenez, vous soutenez sa cause. Quitte à prendre un risque et rater une édition de Vendée Globe (il y a tellement d’autres courses sur le globe, est-ce si grave ?). C'est une histoire que vous vivez ensemble. Prenez un peu de recul, le monde de la voile ne tourne pas qu’autour du Vendée Globe... Et puis en général, le vainqueur du Vendée Globe est rarement le seul vainqueur du Vendée Globe, tous les participants sont des héros.
Parce qu'avant toute chose, la voile est une histoire d'Hommes et de bateaux. Et par Hommes, j'entends tous les êtres humains qui composent l'équipe: partenaires, équipe technique, amis, famille, supporters anonymes... C'est un sport d'équipe, solidaire.
Bref, le "Clarisse Gate" n’est que la partie émergée de l’iceberg, il est évident que les femmes ne sont clairement pas au même niveau que les hommes dans ce milieu. Je pensais que ce combat avait avancé, mais le signal envoyé par cet événement est dramatique.
La claque est violente, même si a priori nécessaire pour continuer de faire bouger les lignes, et nul doute que Clarisse rebondira. Je suis même heureuse qu’elle puisse être libre d’aller travailler avec des personnes qui la méritent.
Clarisse sur l'Atlantique, c'est le moment d'ouvrir tes ailes, rayonne, sois fière et retourne te faire plaisir sur l'eau ! Je suis impatiente de voir ce que tu vas nous pondre, et très confiante en ton avenir !