15/09/2023
C’est encore quoi le numéro d’urgence en Italie ? Je suis déjà venue quelques fois dans le pays, mais je n’en ai aucune idée. Je sais que plusieurs pays européens utilisent des numéros à trois chiffres contrairement à la France.
J’essaie donc fébrilement le 110, le 111, le 112 puis le 113. Jusqu’à ce que j’entende une voix. C’est à ce moment-là que j’entends des pas approchés. Prise de panique, je me mets à courir. La personne parle en italien. Je n’ai que les notions basiques comme « Pronto », « Spaghetti » dans cette langue qui est pourtant si belle. Je décide de me rabattre sur la langue universelle.
– Please ! Help. I am in Milan. They are holding me against my wish. (Je vous en prie. À l’aide. Je suis à Milan. Ils me retiennent contre ma volonté).
– Where are you exactly ? (Où êtes-vous exactement ?) demande le policier, car je suppose qu’il s’agit d’un policier.
Le téléphone se volatilise de ma main quand je veux répondre. Je reste tout d’abord sous le choc. En me tournant, je vois l’armoire à glace que j’ai aperçue la veille. Son regard perçant n’est pas prêt de disparaître de ma mémoire.
– Ma Princesse, retournez sous la véranda, s’il vous plait, me dit-il sans me lâcher du regard.
Je vois la grosse arme qui déborde de son épaule malgré sa grande taille. Avec des gestes raides, je refais le chemin parcouru quelques minutes plus tôt. Kennel fait les cent pas sur la véranda et s’arrête en me voyant approcher. Je me tiens en retrait, la tête baissée. Je ne remarque pas que le garde retourne dans la cour et se fond dans le paysage après avoir remis le téléphone à son patron. Kennel vient vers moi, passablement énervé.
– Qu’est-ce qui t’a pris ? me demande-t-il, irrité au plus haut point. Crois-tu que tout cela soit un jeu pour moi ? Que cela m’amuse de devoir te supplier, t’obliger à me suivre ? Je n’ai pas le choix ! Je ne veux pas que mon père m’en veuille à jamais de lui avoir désobéi. Ce que j’ai fait en t’épousant sans son consentement. J’ai toujours tout fait par amour pour toi. Je t’ai épousé par amour, si pour toi ce n’était que par intérêt parce que tu voulais avoir les papiers afin de rester en France. Je t’aime, bon sang ! Pour une fois dans ta vie, peux-tu essayer d’être moins égoïste et de penser aux autres ?
Il est tellement énervé qu’il crie, ce que je ne l’ai jamais vu faire. Kennel peut parfois être désordonné, distrait. Mais il n’élève pas la voix sur les gens. Il me disait toujours que sa maman lui a appris que la politesse est une vertu importante dans la vie. Rien ne se résout par la force ou les cris. Kennel me montre le transat et je retourne m’asseoir sans parler. Il s’assied aussi, mais cette fois près de moi. Il me regarde de profil tandis que je fixe les magnifiques pavés couleur beige du sol.
– Pourquoi te rebelles-tu tant contre moi ? demande-t-il d’une voix rauque. J’ai toujours tout fait pour te plaire.
– Mais tu as malheureusement trop changé pour que quoi que soit de solide ne tienne entre nous, je complète, l’esprit perdu dans le passé.
Je souris malgré tout en me souvenant de notre rencontre. On dirait que Cupidon avait beaucoup de temps libre ces jours-là. C’est il y a environ huit ans. J’ai cru rêvé…
J’ai grandi à Logpom, un quartier de Douala, la capitale économique du Cameroun. Mon père a quitté ma mère alors que je n’étais qu’un enfant, la laissant seule avec deux enfants en bas-âge. La pauvre femme qui n’était pas allée loin à l’école s’est retrouvée à devoir faire des boulots de ménagère, et d’autres petites affaires qu’elle ne nous avouera jamais, pour tenir la tête hors de l’eau et nous envoyer à l’école.
L’endroit où nous vivions ne pouvait même pas être qualifié maison, mais c’était notre foyer. Dès que j’ai pu réfléchir raisonnablement, je n’ai plus jamais emmené un camarade chez moi. C’était trop moche et défraîchi. Déjà à l’époque, je me suis dit que je deviendrais décoratrice pour rendre les maisons belles et somptueuses. Je voulais rendre celle de ma maman belle. Mais pour cela, il fallait d’abord que je lui en trouve une qui soit décente.
J’ai bossé dur durant mes études et malgré quelques dérapages, j’ai eu un BAC A avec brio. Grâce à une bourse obtenue au travers de la Coopération Française au Cameroun, je me suis retrouvée en France. C’est durant mes premiers jours d’errance que j’ai revu par hasard Mona Ngonde, une de mes anciennes camarades du collège avec qui je me suis bien entendue avant que nous ne nous perdions de vue.
Mona vient d’une famille riche de Douala. Pour la punir de son obstination après une énième bêtise, ses parents l’avaient scolarisé dans mon collège de quartier. Elle était très généreuse et bien qu’elle soit déjà arrivée dans le taudis dans lequel je vivais, elle ne m’a jamais jugée ou rejetée pour cela comme les autres. Pour elle, j’étais Any, sa pote cool et cela n’a jamais changé avec les années. Mona a voyagé pour la France dès la classe de Seconde. Déjà établie à Paris au moment de nos retrouvailles, elle s’apprêtait pourtant à aller continuer ses études à Lille.
Je venais de commencer une école d’Arts quand par hasard lors d’une fête estudiantine mon regard capta celui de Kennel. Il était tellement charismatique, habillé avec simplicité d’une chemise en pagne et un pantalon à la coupe sobre, mais d’une classe si indéniable que je n’ai pas pu m’empêcher de le fixer. Il m’a souri et j’ai baissé la tête.
C’était une fête organisée par des étudiants de grandes écoles parisiennes. Le genre de fêtes select dans lesquelles on n’entre pas sans piston. J’accompagnais une camarade française qui voulait être avec son mec. Elle avait disparu dès notre entrée dans l’appartement.
Comme s’il avait eu pitié de moi, Kennel a pris deux bouteilles de jus sur le buffet et il est venu m’en proposer une. J’ai accepté de bon cœur. Nous étions les seuls africains de la pièce. On aurait dit deux taches dans un décor aseptisé presque parfait. Nous avons commencé à discuter, mais la musique nous a poussé à nous rabattre dans les escaliers de la demeure en étage où nous nous trouvions. C’est là que nous avons passé de longues heures à discuter de tout et de rien.
Camerouno-nigérian, Kennel est le fils d’un ancien ministre qui terminait ses études en banque et finance dans une prestigieuse école franco-américaine de la place. Il en était à son 3e Master, mais il avait déjà une offre d’embauche. Le courant est si bien passé entre nous que nous nous sommes revus le jour d’après et les jours suivants. Sortir ensemble était une chose si évidente pour nous que nous n’en avons jamais discutée clairement. Nous étions tombés amoureux de la manière la plus simple et la plus pure qu’il soit, sans préméditation. Notre première fois a été magique. J’ai adoré chaque moment passé avec lui.
Quelques mois plus t**d, j’eus pourtant de gros soucis avec la préfecture qui menaçait de me retirer mon titre de séjour. C’est Kennel lui-même qui vint à moi et proposa de m’aider. Il me confia alors qu’il est né en France, mais qu’il avait la nationalité américaine aussi. Je ne savais pas si notre relation était prête pour un tel saut. Mais avec la pression, nous nous sommes mariés rapidement. J’ai donc emménagé dans son appartement, le cœur léger et heureuse de cette chance que j’ai eu de gagner le jackpot. Mais cette période coïncidait avec le début d’emploi de Kennel. Il changea rapidement et devint très bizarre. Il disparaissait parfois durant des jours ou des semaines et revenait en me sortant des excuses que je n’arrivais pas à accepter. Mais par amour, je m’obligeais à croire.
Un jour où je me posais encore des questions sur mes choix et sur cet homme avec lequel je partageais ma vie, j’en ai parlé à un groupe d’amies. Elles m’ont dit un tas de trucs bizarres sur lui. Elles vivaient en France depuis plus longtemps que moi et le connaissaient donc mieux que moi. Elles ont certifié mes peurs sur le fait que Kennel soit sûrement un menteur et qu’il touche peut-être à la drogue et en trafique, d’où son changement d’attitude. Il avait toujours de l’argent sur lui, connaissait des gens de tous les milieux. Étrangement, il ne m’avait présenté à aucun de ses amis. C’est comme si notre histoire se passait dans ma tête.
Quelques jours plus t**d, il revint d’un voyage. Une mission d’après ce qu’il m’avait expliqué. J’ai fouillé sa valise pendant qu’il dormait et trouvé au moins 30.000 Euros en espèce. Je n’ai jamais vu une de ses fiches de paie pour le soi-disant boulot qu’il faisait et il se retrouvait avec autant d’argent ? Avant même qu’il ne se réveille, j’avais pris des affaires et quitté la maison. Le lendemain, je demandais le divorce. Je ne voulais pas gâcher ma vie.
Je prends une longue inspiration et je daigne enfin dévisager Kennel qui me regarde intensément depuis tout à l’heure. On dirait qu’il a fait ce voyage avec moi.
– Kennel, je te remercie pour ce que tu as fait à l’époque, dis-je, émue. Tu m’as sauvé la vie. Mais tu ne dois plus le faire.
– Je n’ai pas fait tout cela par intérêt, mais parce que je t’aimais. Je comptais t’épouser de toutes les manières. Dans mon esprit, il n’a jamais été question d’intérêt, mais d’amour. C’est cet amour que je veux revivre en faisant ce qu’il faut, ce que mon peuple attend désormais de moi. Il faut que je leur présente mon héritier pour accéder au trône de mon père après sa mort.
Je le regarde quelques secondes, essayant d’assembler les informations que j’ai dans ma tête.
– Tu es vraiment prince ? je demande, inquiète.
– Oui. Je suis le Prince Kennel Olufemi Ezechima, prince héritier du village Ibara dans l’État fédéré d’Enugu au Sud-Est du Nigeria. Mon père, le roi Eston Odogwu Ezechima, premier du nom, attend de moi que je me marie et que j’aie rapidement un fils avant mon 35e anniversaire qui est dans deux ans.
– Tu es un prince ? Comme à la télé ? je demande, hébétée.
– Je suis un prince fier de la princesse de son cœur. J’ai désobéi à ma famille en t’épousant sans le consentement de qui que ce soit. Je te demande juste de m’aider à leur prouver que ma décision était la bonne.
La sonnerie de la maison résonne soudain, brisant un peu de la magie de ce moment. Kennel caresse ma cuisse avant de se lever.
– Ce doit être la police que tu as appelée, dit-il en prenant calmement ses téléphones sur la table. Allons les accueillir.
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Extrait du roman : Princesse malgré elle.
Disponible sur : https://www.youscribe.com/catalogue/ebooks/litterature/romans-et-nouvelles/princesse-malgre-elle-3406156
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