19/10/2023
Margaret et Zétus
La navigation, autrefois, était loin de ce qu’on connait aujourd’hui. Mon grand-père Chouinard avait comme dicton : La mer donne la vie mais elle peut aussi l’enlever. Malheureusement, nous en avons encore la preuve avec ce récit de non pas 1 mais de 2 naufrages survenus au même endroit dans un très court laps de temps. Sur les 32 membres d’équipage des navires 1 seul a survécu (J’ai presque envie de dire par miracle) et a ainsi pu raconter la terrible tragédie dont il a été victime. Voici donc le récit tel que décrit dans le Morning Chronicle :
Cariboo 16 mai 1869
« Récit du naufrage des barques Margaret d’Aberdeen, et Zétus, de Leith, qui ont fait naufrage sur les rochers de Cariboo, dimanche matin, le 16 mai, par James Donald contre-maitre du Margaret et le seul survivant des deux équipages : - Samedi soir, nous filions par une forte brise de E.N.E. à raison de 7 milles à l’heure. La mer était alors agitée, mais nous ne nous en apercevions pas fort, attendu que nous la devancions. A 1- a.m. dimanche, la barque Zétus s’approcha de nous à portée de voix, et suivant la même direction. Comme elle était meilleure voilière elle nous dépassa; mais à peine était-elle trois ou quatre fois sa longueur en avant de nous qu’elle s’échoua sur les rochers le temps était alors très obscur et il pleuvait. Une minute après, notre vaisseau échouait pareillement. La mer déferlait furieusement contre nous.
Comme la Margaret a été la dernière à se briser, je fus témoin du désastre de la Zétus. Il n’y avait pas trois quarts d’heure qu’elle était sur les rochers, que son grand mat et le mat d’artimon tombèrent à l’eau : la chute du mat d’avant et du beaupré arriva quelques minutes après---les vagues qui roulaient alors comme des montagnes eurent bientôt démoli le vaisseau et tout l’équipage a dû périr. Environ 10 minutes après, le grand mat et le mat d’artimon de la Margaret furent renversés. Avant leur chute pendant que nous étions occupés à mettre à la mer le petit canot (jolly boat) une vague énorme s’abattit sur le pont, enfonçant l’arrière du vaisseau et une partie de la chambre, et mettant en pièces l’embarcation. Nous essayâmes ensuite de lancer la grande chaloupe long boat, mais la mer qui se brisait furieusement contre la Margaret, l’eut bientôt écrasée. Tandis que nous étions balayées par la même vague jusqu’au grand pont; ce fut alors que 7 ou 8 hommes de l’équipage eurent les jambes cassées, des côtes enfoncées, et reçurent d’autres contusions graves.
Le froid était intense. Nous tentâmes alors de descendre la pinasse (pinace) mais la mer devait nous l’enlever aussi, et elle fut fracassée contre le mat d’avant. En même temps le grand mat et le mat d’artimon tombèrent sur le pont. L’arrière de notre vaisseau ne t**da pas d’être démoli et le mat d’avant oscillait de côté et d’autre.
Pendant que nous étions à construire un radeau avec les pièces du pont à mesure qu’elles se détachaient sous l’effort des vagues, le mat d’avant s’affaissa. Nous nous cramponnons alors au beaupré; nous étions 15 hommes; mais le beaupré fut bientôt entrainé à la mer. Au moment où je revenais sur l’eau, je me sentis saisir les deux pieds par quelqu’un de l’équipage qui me lâcha dès qu’il fut remonté à la surface. En reparaissant moi-même au-dessus des flots, je saisis une planche d’environ trois pieds de longueur que j’abandonnai pour m’installer sur un soliveau du pont; je pus alors jeter un regard autour de moi, je vis avec chagrin toute l’équipage se tenant cramponné aux débris du vaisseau et la tête sous l’eau. Ceux qui n’avaient point de membres cassés, étaient transis par le froid.
Personne, à l’exception du capitaine et de moi, ne fit d’effort pour lutter contre la mort. Le capitaine ne put rester longtemps sur la pièce de bois qui le supportait; m’étant retourné au bout de 10 minutes, je ne le vis plus. Je fus moi-même à plusieurs reprises emporté de dessus ma planche de salut par les vagues, mais j’eus toujours la chance de la ressaisir. Je reçus de graves contusions sur les épaules. Une épave vint me heurter la tête, me faisant une blessure, d’où le sang s’échappa en abondance; je ne perdis pas cependant l’usage de mes sens.
J’atteignis enfin les rochers, mais, ma pièce de bois ayant tourné sur elle-même, elle me retomba deux ou trois fois sur la poitrine menaçant de m’écraser; heureusement je réussis à me trainer hors de sa portée et j’essayai de me remettre sur pieds; mais je ne pus rester debout et m’affaissai, le visage inondé de sang. Je pris alors le parti de me trainer sur les mains et les pieds; j’allais m’évanouir quand deux hommes, M. Magloire Boucher et M. Joseph Lévesque accoururent et me portèrent dans leur maison, où je fus très bien traité. Après avoir dormi trois heures, je me réveillai beaucoup reposé. Je m’informai alors des autres naufragés. On me répondit que j’étais le seul qui était parvenu à terre. Après m’être habillé, je descendis au rivage pour voir si je ne découvrirais pas quelques-uns de mes compagnons, mais je ne vis personne. Les débris des deux vaisseaux avaient été laissés à sec et jonchaient les rochers.
Ainsi dans l’espace de 2 ½ h. les deux barques avaient été mises en pièces et 31 personnes avaient perdu la vie. Les deux vaisseaux étaient chargés de charbon. »
Plus t**d dans différents journaux il est possible de savoir qu’un certain Monsieur Rousseau, plongeur, qui aurait été visité le site du naufrage le 21 mai 1869, rapporte avoir trouvé le registre du Margaret et que celui-ci a été remis au destinataire du navire. Il ajoute, également, que 15 corps auraient été trouvés et enterrés.
Voici le nom des 14 disparus qui étaient à bord du Margaret :
- Capt. Allen, Aberdeen
- Wm Gorman, second-mate, Aberdeen
- Wm B. Don, carpenter, Aberdeen
- Geo. Gibson, A.B., Aberdeen
- Richard Corbert, A.B., Aberdeen
- John McWilliams, O.S.
- J.F Johnson, steward, Gothenburg, but married in Sunderland
- Thomas Mason, A.B., Sunderland
- Jas. Tucker, Cornwall
- Charles Brown, A.B., Gothenburg
- William Hanson, A.B., Hartlepool
- Jas. Brindle, A.B.
- Wm Thomson, O.S., New York
- Wm Pattison, O.S., Jamaica
Et le seul nom qui m’a été possible de trouver pour le Zétus est celui-ci :
- Capitaine J. Burns, Leith
En fouillant, dans les vieux journaux, je suis tombé sur une perle (à mon avis) dans le Morning Chronicle du 13 juillet 1869, le seul survivant, M James Donald a écrit au journal une lettre qui a été publié dans la section Lettre d’opinion. Celui-ci nous donne des compléments d’informations et fait part de son mécontentement envers une personne comme vous pourrez le lire ci-dessous.
« Monsieur,
Le 16 juin, j’ai eu le plaisir de lire le Morning Chronicle, à Caribou, daté du 31 mai 1869, et vous pouvez imaginer quelle fut ma surprise lorsque j’ai lu ce qui suit :
« Nous avons été informés que dix-neuf des corps ont été retrouvés dans les épaves des barques Margaret et Zétus, près de Pointe Caribou, et inhumés sur ordre du coroner du district….. »
Maintenant, je veux informer le public (par votre intermédiaire), que le coroner ne sait rien du nombre de personnes retrouvées et qu’il n’en a jamais vu un seul, même si j’ai pris la peine de lui demander de venir enquêter sur 13 d’entre eux, le 19 mai, mais il n’était pas chez lui. C’était le mercredi, et comme il ne semblait pas venir, je les ai fait enterrer le vendredi après-midi vers 6 heures, et la même nuit j’ai embarqué à bord de la goélette Mary Star of the Sea, pour Québec, où j’arrivais le jeudi soir suivant, et le samedi soir je redescendais à Caribou, où j’arrivais le dimanche le 6 juin. J’ai demandé s’ils (c’est-à-dire les gens là-bas) avaient trouvé d’autres corps depuis mon départ. Ils ont répondu deux.
J’ai demandé si le coroner avait fait enquête--- mais ils ont répondu non, mais qu’il serait venu deux jours après et leur aurait dit de ne plus enterrer jusqu’à ce qu’on l’appelle et qu’il les voit, et depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui, qui fait 21 jours, il n’a jamais fait son apparition. Mais ça, il semble qu’on ne perde pas grand-chose avec son absence, car si les dictats de sa propre conscience de magistrat ne lui conseillaient pas de venir rendre aux morts l’hommage qui leur était justement dû, son absence valait mieux que sa compagnie.
Mais il y a des hommes à Caribou, avec des sentiments d’hommes et de chrétiens, qui ont fait leur devoir envers les morts en tant que compagnons mortels et tant que Madame McLure vivra, il y aura une maison pour le marin qui a le malheur de faire naufrage dans les environs. S’il débarque vivant, il trouvera en Madame McLure une vieille femme maternelle qui lui accordera toutes les attentions, à la fois comme médecin et comme infirmière, ce que j’ai découvert par expérience.
Ce qui suit est un compte-rendu des personnes récupérés jusqu’au 23 juin, à savoir :
- Douze membres de l’équipage du Zétus, inconnus et trois du Margaret qui sont :
- William Allan, Capitaine, Aberdeen
- William Gorman, second compagnon, Aberdeen
- William Pattison, marin, Jamaïque
Soit un total de 15, et non 19 comme vous en avez été informé précédemment.
Votre dévoué serviteur,
J. Donald
Défunt compagnon du Margaret » *
Le même journal publiait dans la section nouvelle locale ce qui suit :
« Les naufrages du Zétus et Margaret
Nous vous prions d'attirer l'attention des autorités sur la lettre de James Donald, défunt second du Margaret et seul survivant des deux équipages, relative à la conduite du coroner à Caribou. Au profit des proches des défunts, nous souhaitons déclarer que
le second a fait enterrer décemment les corps et a élevé une simple balustrade autour de leur dernier lieu de repos. Il a également érigé deux épitaphes à leur mémoire. »*
*Traduction fait par moi-même
MARGARET ZÉTUS
Capitaine: W. Allan J. Burns
Catégorie: Barque Barque
Tonnage: 559 684
Année de construction: 1855 1849
Endroit de construction: Nouvelle-Écosse Ile du Prince-Edouard
Propriétaires: Marsh & Co Wishart & Co
Port d’attache: Aberdeen Leith
Longueur: 140'8" 136'
Largeur: 30'1" 27'2"
Profondeur: 17'6" 21'8"
Pour ses 2 navires, il y eu plusieurs annonces pour une mise à l’encan des articles qui avaient pu être récupérés. Voici ce qui a été publié le 8 juillet 1869 dans le Morning Chronicle :
« Vente de 2 épaves
Les coques du navire Margaret et la barque Zétus (naufragés à Pointe Cariboo) et le matériel ont été vendu mardi par Messieurs A.J. Maxham & Co à M C. Samson pour la somme de $205. Les cargaisons ont été vendu à la même partie pour $51.
Les matériaux sauvés des épaves et ramenés à Québec ont rapporté la somme de $2,800. »*
*Traduction fait par moi-même
Note de l’auteur
- Il m’a, malheureusement, été incapable, pour l’instant, de retrouver l’emplacement exact de la sépulture de ces pauvres naufragés (Mais je continue à chercher). Une chose qui est certaine, c’est qu’ils ne sont pas dans le cimetière. Anciennement, le clergé refusait que les dépouilles des pauvres naufragés soient enterrés dans le cimetière si ceux-ci ne portaient pas de signe religieux sur eux!!!! Dans le village la rumeur a toujours couru que 31 corps avaient été enterrés. Mes recherches viennent de confirmer que ce ne fût pas le cas. J’ai toujours, aussi, entendu dire qu’ils seraient probablement entre l’ile des Chouinard et un endroit qu’on nomme la petite mule. Rumeur, légende ou vérité? Nul ne peut le dire et jusqu’à date je n’ai pas pu trouver d’écrits pouvant m’indiquer où ils seraient. Le fait de vouloir savoir, où ils sont, peut sembler morbide pour certaines personnes mais loin de moi l’idée de vouloir profaner leur dernier repos. Bien au contraire, il serait bien de pouvoir ériger quelque chose pour éviter que ces braves gens tombent dans l’oubli.
- Dans sa lettre d’opinion, James Donald mentionne avoir été soigné par une certaine Mme McLure. Madame McClure de son nom Mathilde Lévesque était l’épouse de Jean-Baptiste McClure de Rivière-Ouelle. C’est son frère, Joseph, qui est mentionné comme une des 2 personnes ayant sauvé M Donald. De plus Madame McClure et son mari sont les parents adoptifs de mon arrière-arrière-grand-mère. Cette dernière et son mari se sont mariés en 1866 et se sont établis aux Ilets-Caribou. C’est assurément dans leur maison que M Donald fût soigné et hébergé. D’ailleurs cette maison existe toujours et si vous passez par le village vous passez devant.
Sources
- Journal Morning Chronicle du 29 mai, 5, 6, 8 et 13 juillet 1869.
- Journal Le Canadien du 29 et 31 mai 1869
- Lloyd's Register of Shipping 1869