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WHAT the FOOD? voyages culinaires Petites aventures culinaires autour du monde

13/11/2022

Aller retour express à Paris Montparnasse pour tester pour vous Food Society, le plus grand food court d'Europe, à ce jour.

Montparnasse, descendez des escaliers de béton, traversez un centre commercial, oubliez les WC roses à votre droite, revenez vers les WC roses, tournez à gauche, passez devant la plonge commune aux 15 "restaurants" et vous serez les bienvenues dans ce temple du parisianisme neobeauf, version usine trendy et Gucci prolétariennes.

Plus qu'un véritable parc d'attraction foodiste aux dimensions hors normes (3500m2, 600 places, 15 restaurants, 2 bars, 1 scène) à l'esthétique douteuse entre fête foraine et plateau télé où le consommateur consumériste vient zapper de stand en stand sa dose de gras double à dos de trottinette électrique (sic), Food Society a le mérite de ne pas cacher ce qu'il est : un fabuleux piège à cons, du début de la chaîne de production tenue par le Moma Group à la gestion des flux gastriques des fameuses WC roses derrière la plonge centrale. Un parcours digne d'un Ikea du fast food vous y attend dès l'entrée et son plan de circulation, vous faisant passer non devant les canapés ou coussins que vous ne vouliez pas acheter, mais devant la quinzaine de comptoirs de fast food rondement bétonnés, comme autant de favelas banlieusardes qu'il aurait fallu appauvrir encore pour alimenter cet ogre de mauvais foie.

Devant, c'est une succession de name dropping, de Louie Louie à Blend, en passant par les sandwichs du Favori ou de Yemma, les kiosques de Mojo, lancé par Mory Sacko, le Monobar d’Adrien Cachot et la trattoria de poche de Fabrizio Ferrara, ou Coutume, l’un des torréfacteurs de référence dans la capitale. Nous sommes donc bien à Paris où le nom fait l'assiette. Où le who's who suffit à argumenter un plat, où l'entre-gens sert de gage de qualité. Et bien oui, malheureusement, c'est ce que semble croire Virginie Godart, la sélectionneuse des happy restaurateurs foodistes pour le compte de Moma Group, "créateur de concepts forts et de marques puissantes à Paris et dans le monde", annonce la première page de leur site internet. Et bien entendu, vous vous doutez bien que ce n'est pas mon avis. Mais pourquoi ?
Tout d'abord, la recherche du toujours plus dans une capitale mesurée d'un pays étriqué ne donne pas souvent de bons résultats. Pauvre en friches industrielles en centre ville, percluse de normes esthétiques, sécuritaires et morales, la capitale française n'offre pas plus que l'arrière boutique d'un centre commercial de gare comme écrin à ce qui aurait pu être une bonne idée. Bas de plafond, plus sale qu'industriel, le local est mal agencé et n'a ni le charme post punk du feu Papironen de Copenhague ni le chic du Time Out Market de Lisbonne. Bordélique, chaises en plein dans le passage, flyers qui trainent par terre, vue sur la boutique Claire's ou Celio, vaisselle sale pas débarrassée sur les tables, caisses vides et cartons empilés en vrac derrière les comptoirs, signalétiques illisibles, stands éparpillés selon un parcours sinueux, applications de commandes via téléphone mal foutue sont tout autant de contraintes, finalement reportées sur le client. Car choisir son pote qui fait de bons burgers dans sa boutique du onzième ne suffit pas à tenir une machine de guerre. Car si devant, c'est une succession de noms, derrière c'est une succession d'employés sous payés, peu qualifiés, débauchés de chez McDonald's ou KFC qui sont chargés de tenir la boutique. Et là, c'est la panique.

Exemple d'un parcours pour 4 empanadas, un plat syrien de boeuf rôti aux épices et une bière. Passez par le bar central, adressez vous au barman, faites vous rembarrer, adressez vous à la personne qui prend les commandes au bar, scannez le QR code, donnez gratuitement vos informations personnelles, attendez la fin des pubs, choisissez votre bière, payez en ligne, attendez un SMS de validation, adressez vous à nouveau au barman qui acceptera alors de vous servir dès lors que vous montrez votre attestation de paiement, allez vous asseoir, scannez à nouveau le QR code, attendez la fin des pubs, , choisissez vos empanadas, payez, choisissez votre plat syrien, payez, recevez une notification de mise à disposition de vos empanadas, cherchez le stand à empanadas, trouvez le stand, retournez vous asseoir, buvez une gorgée, croquez dans un empanadas, recevez une notification de mise à disposition de votre boeuf aux épices, laissez vos empanadas sur la table, cherchez le stand Syrien, qui s'avère être partagé avec le stand de sandwich mais c'est pas bien compréhensible, prenez votre plateau, revenez à votre table, espérez que vos empanadas soient encore là, asseyez vous et goûtez. Et tout ça pour quoi ? De la m***e pour chiens. Car encore une fois, dire que c'est untel qui a apposé son nom sur le stand ne suffit pas à ce que la bouffe réalisée par des cuisiniers non qualifiés, sans formation, sans motivation soit bonne ou que le lieu soit bien tenu. Dire que untel se fournit en telle ou telle qualité de produits dans sa "fabrique à sandwich" (on ne dit plus une sandwicherie, provinciaux que vous êtes) ne garantie en rien qu'il le fera dans sa vitrine du Food Society, les volumes n'étant en rien comparables (un charcutier de qualité ne peux pas forcément fournir autant de marchandise...). C'est servi à la truelle, version cantine de prison, c'est complètement insipide. Vous essayez de prendre du plaisir à vérifier que les carottes râpées aient le moindre intérêt, et, réfléchissant à chaque mastication, vos yeux s'égarent de papiers gras jeté par terre en vaisselle empilée sur des chariots.

Reste la bonne nouvelle : voir la hype parisienne se gausser de "in-cro-yable" et de "j'adore" devant un type déguisé en jogging floqué de tous les emblèmes des équipes de deuxième division de football se dandiner devant un clavier strident, second degré forcé par les circonstances, renversant le jus de sa pizza au gazon sur ses Stan Smith customisées à la laque dorée, alors que monsieur et madame tout le monde passent par là pour tout simplement prendre le métro derrière le centre commercial de la gare Montparnasse.

Aaaah, se frotter, de loin, caché derrière ses lunettes noires et son application dédiée, au peuple qui vous sert et au peuple qui œuvre, qui cavale de correspondance en correspondance, n'est ce pas là le plus grand regal que peut s'offrir la hype parisienne ? Après tout, manger, dans un restaurant, c'est secondaire. Ce qui compte, c'est la table qu'on y occupe. Pas trop loin du DJ.

Alors, que retenir de tout ça ?Bien entendu, des spécialistes pourraient me contredire, la cuisine coréenne est vaste et...
16/06/2022

Alors, que retenir de tout ça ?
Bien entendu, des spécialistes pourraient me contredire, la cuisine coréenne est vaste et riche, et je n'ai pas pu en faire le tour. Mais tentons un résumé de ma petite expérience. Comment sont structurées les recettes de base ? Existe-t-il des fils conducteurs gustatifs ? Où, quand et comment les Seoulites mangent ? Et surtout qu'est ce que cela nous apprend sur eux, et donc, par un effet miroir, sur nous ?

Contrairement à beaucoup de pays en Asie du sud est, le riz ne m'a pas semblé l'aliment principal. Il est présent, sur les tables et dans les verres de soju, mais le blé, le sarrasin, l'orge lui ont ravi sa place dominante, il y a quelques décennies déjà, grâce à la progression constante des nouilles dans l'alimentation des coréens. Nouilles froides, nouilles chaudes, nouilles gluantes, et surtout nouilles sèches vendues en préparations instantanées dans tous les rayons de tous les supermarchés et épiceries sont l'apport énergétique principal si ce n'est de toute la population de la péninsule, tout du moins des Seoulites. On trouve ces céréales dans les naengmyeon, janjangmyeon, dangmyeon, dans un petit pot en accompagnement d'un barbecue, la liste est longue. Mais totalement figée. Je veux dire qu'elle est encadrée par des recettes normées. On peut s'amuser à varier un peu les plaisirs et vérifier la qualité des produits, mais la recette n'est pas sujette à créativité. Un bibimbap est un bibimbap. Comme le gratin dauphinois est un gratin dauphinois. Mais à la différence de notre approche de la cuisine, on ne sort pas des grandes lignes codées, les cuisiniers populaires, au sens de cuisiniers du peuple, n'improvisent pas, ne déstructurent pas. Vous allez dans un restaurant de soy sauce crab pour manger un soy sauce crab. Vous n'y trouverez que ça, et ne trouverez pas de soy sauce crab ailleurs. Ou alors ça sera suspect. Allons nous dans des restaurants de blanquette de veau ? Certes, nous aussi avons nos restaurants de spécialités, comme des restaurants de choucroute ou de cassoulet, mais ils ne représentent pas la majorité. Ici, les lieux de bouche se sont spécialisés dans les nouilles, les barbecues, les bibimbap ou autres. Sans compter que nombre de cuisines de rue ne peuvent accueillir plus d'un wok, rendant difficile le développement d'une carte longue et créative. Ces lieux de restauration, au sens de restaurer le client, de lui redonner vie, de le remettre en forme, deviennent donc lieux de cuisine rapide, le processus de fabrication étant normé, de jours en jours, pour suivre les même protocoles.
De là, la saisonnalité n'est plus la préoccupation première. Si vous faites toute l'année le même plat, vous devez toute l'année avoir les mêmes ingrédients. Vous trouverez très peu de légumes, qui ne servent que de condiments. C'est une cuisine peu équilibrée selon nos standards européens. Parfois les légumes et végétaux sont séchés, déshydratés, comme ces fraises sur les étals du marché de Namdaemun. Et il en va de même pour les poissons dont les bancs vont et viennent le long des côtes et qu'on tente historiquement de conserver par des techniques plus ou moins éprouvées s'il a fallu s'éloigner trop loin en mer. Mais sécher des légumes requiert des déshydratateurs, plus ou moins performants, de la simple grille posée au soleil aux machines industrielles. Alors, la Corée a recourt à la fermentation.

Il est un objet essentiel, un pilier de la cuisine coréenne, c'est le onggi. Le pot en terre cuite. La jarre de fermentation. C'est cet outil, que l'on trouve partout, le long des trottoirs, sur les toits des habitations ou dans les arrières cuisines qui fait le lien entre tous les repas que j'ai eu la chance de faire. Partout il y a eu le kimchi, ce chou fermenté au piment. Et sans onggi, pas de kimchi, ni d'herbes aromatiques, ni de pickles, ni de prunes au sel, ni de raie moisie, quoique cela ne serait pas si grave. Si la cuisine coréenne s'est nourrie et a nourrit en retour les cuisines chinoises et japonaises, ce que j'ai remarqué de différenciant, c'est d'abord la lacto-fermentation. Et le piment. La cuisine japonaise est moins relevée. La cuisine chinoise plus sucrée. La cuisine coréenne a une longue histoire de goût pour le piment à raconter, et juste après le kimchi, vous trouverez sur la table le gochujang, ce merveilleux piment gochugaru fermenté dans du malt d’orge, de la farine de riz gluant, du soja fermenté, et du sucre. Il accommode les viandes, il relève les poissons, il pimente les soupes, il nappe les crabes et fait rougir les copains qui se pressent autour de la table.

Car l'autre grande découverte de la cuisine coréenne est la convivialité. Les coréens m'ont sembler manger à toute heure et beaucoup, selon deux modes de consommation : le petit plat individuel de rue, et le repas de fête partagé. Je n'ai pas vu de couples dans les restaurants. Soit les coréens mangent seuls un bol de naengmyeon dans un stand de rue, ou une part de cheesecake aux canneberges dans un coffee shop, soit ils se réunissent pour partager un plat, un barbecue ou autre. Je n'ai pas vu l'un commander un plat et l'autre en commander un autre. Le soir, les amis se mettent d'accord et vont s'offrir une tranche de rigolade autour d'une braise bien chauffée, au restaurant ou via des plateformes de livraison. C'est un peu la raclette party tous les jours, et ils piochent, en enchaînant les tournées de soju, qui une tranche de boeuf, qui une côte de porc, qui un peu de kimchi, qui une bouchée de namul.
Contrairement à la cuisine japonaise constituée de plein de petits plats indépendants qui font un repas en les accumulant, la cuisine coréenne est constituée de plein de petits plats interdépendants qui, en les combinant au gré des envies du consommateur, en créent un gros. Les cuisiniers n'ont plus grand chose à faire, ils préparent, découpent, font la mise en place, mais c'est le client qui met la touche finale.

Mais si la cuisine coréenne semble codifiée ainsi, comment se comporte t elle face à la modernisation fulgurante du pays ? En un demi siècle, la Corée est passée du statut d'un des pays les plus pauvres du monde, obligé de rationner le riz jusqu'il y a trente ans, à un pays dont la capitale vient de faire son entrée dans le top dix des villes les plus chères du monde. Cela doit forcément avoir un impact. Au delà de l'expansion des villes, la hausse du pouvoir d'achat fait pression sur la production et l'offre nationale de produits alimentaires ne suffit plus à satisfaire les désirs des consommateurs. Le porc est devenu hors de prix car la demande excède la production. Le boeuf hanu se négocie à des prix japonais.
Partout des modes de consommation de produits alimentaires occidentaux apparaissent. Très friands de café, ils les boivent souvent frappés, commandés dans des coffee shops américains aux allures New Yorkaises, ou dans la rue, achetés à l'un des innombrables stand de take away. Les "dessert and coffee" houses remplacent les salons de thé (je n'en ai pas vu un seul) et accueillent à longueur de journée une clientèle élégante, assez largement féminine pour se délecter d'un latte macchiato avec des croissants au beurre. Les jeunes se ruent sur tous les produits colorés, bubble teas, donuts, sundaes. Mais vous trouverez aussi sur les marchés tout un tas de bizarreries, des plus petites aux plus grosses et des plus répugnantes aux plus surprenantes, et partout des gargotes mal entretenues, et des cuisinières découper la viande à même le caniveau avec, au dessus, dans le même immeuble, les plus grandes collections de Chanel, Balenciaga ou Alexander Wang sur les épaules des clientes des Starbucks ouverts 24h/24.

Mais comment ces deux mondes cohabitent ils ? Le plus simplement du monde me semble-t-il. Il n'est pas impensable de bouffer des tripes en tailleur ! Quoi de plus smart que de se démener de tentacules de poulpes du bout de baguettes Gucci ? Et les Repetto de faire bon ménage avec les tabourets en plastique des chariots-restaurants alors que les craft beers des microbrasseries adoucissent parfaitement le piment des plus forts bouillons. Deux tables en bois suffisent à n'importe quel épicier du coin pour se transformer en bar branché une fois la nuit tombée.
Ce grand écart est fascinant et Séoul mélange les genres avec un humour assumé.

Gaon, c'est pas de la rigolade. C'est sérieux. Austère. Monacal. L'accueil se fait par un demi étage dans un building de...
16/06/2022

Gaon, c'est pas de la rigolade. C'est sérieux. Austère. Monacal. L'accueil se fait par un demi étage dans un building de Gangnam. Couloir noir, vitrines de poteries anciennes. L'hôtesse s'arrête devant une porte à galandage en papier de riz. Derrière, une table carrée, deux chaises, deux murs jaunes et un autre en papier de riz. Sur l'un des murs, décentré, un tableau marron sur fond marron représente deux grues marrons qui s'envolent au dessus d'un vase marron. Sur la table, un galet gris, un verre, des couverts traditionnels dorés. Je suis perplexe. J'avais demandé à dîner pour une personne, pas à être isolé. J'avais réservé un resto, je me retrouve en garde à vue.

Toc-toc. Oui ? Entrez ! Maître d'hôtel et serveurs frappent à la porte avant d'entrer et la réponse se fait par réflexe. Ils doivent se douter que je suis pas sous la do**he quand même...

1. Jus de wasong. Un verre à liqueur d'un jus épais vert kiwi. Une plante grasse. Je suis perdu dès le départ, pris à contre-pied. Ça s e mange ça ? La mini soupe, ok, mais leur cactus, là ? Ça se mange. J'hésite réellement me demandant si ce n'est pas simplement décoratif ou informatif pour montrer d'où vient le smoothie végétal au goût d'épinards. J'arrache pas du tout discrètement, vu que je suis seul dans sa pièce, mais délicatement une petite pointe de cette étrange plante aux long doigts. Sur la langue la sève est acide et j'ai tout d'abord un réflexe de recul. Ça me fait penser à l'aloé vera, pourtant nettement plus amer, non comestible tel quel et qui laisse un vilain goût longtemps en bouche. Je tente à nouveau. Non seulement je suis sceptique sur le bien fondé de ma démarche, mais aussi sur l'intérêt gustatif de la chose. Je laisse de côté jusqu'au retour de la serveuse qui frappera à la porte à chaque fois qu'elle estimera devoir remplir mon verre d'eau. Elle me confirme par mimiques : oui oui, ça se mange.
2. Clams et St Jacques, branchies de crabe. Une petite coquille sur un monticule de sable sert de réceptacle à un tartare chaud de fruits de mer très iodé.

Ils m'énervent à toquer à la porte.

3. Crevette crue à la sauce soja comme un maki, algue grise et caulerpa lentillifera autrement connu sous le nom de raisin d'eau. Le tout a un fort goût d'algues, de végétaux de mer. Moins salé que iodé, plus astringent que que floral. Les petites billes de raisin d'eau viennent crépiter en plein de petits plis. Ce serait presque fun, si le goût n'était pas si adulte.

4. Un petit tartare de boeuf enveloppé dans une feuille de porc séché m'est présenté en même temps que le maki de crevette. Subtil, sans d'agression en bouche. Le caviar n'est pas trop salé mais complète la viande comme la Worcestershire le ferai dans nos tartares de brasserie.

5. Tofu de cacahuète et pignons de pin, soupe de graines de soja et concombre. C'est frais, doux, très subtil là aussi. Il faut faire attention à ce qu'on mange au risque de passer à côté. Les parfums sont évanescents, légers et disparaissent comme la brume sur les collines. Il va me falloir de la concentration tout au long de ce repas en dix-huit temps qui durera presque trois heures.

Le sommelier m'apporte mon premier verre de vin. Un savenieres de Damien Laureau et en fout un peu à côté. Confus, il éponge de son liteau en tapotant la table paniqué. Plus il tapote, plus il éparpille, comme un enfant sautant à pieds joints dans une flaque. Ailleurs cela aurait été redibitoire et Gaon aurait directement perdu ses trois étoiles. Mais nous ne sommes pas ailleurs et ce n'est pas moi qui distribue pas les images et les bons points.

6. Ormeaux fumé au kelp, haricot mungo et ginseng rouge. Quatre épaisses tranches d'ormeaux à la chaire ferme et à la mâche agréable ont posées sur un galet poli. J'ai du mal à identifier le ginseng, servit en trois petits pétales pourpres. Dans un bol à côté, une soupe de riz et haricots que je comprends mal. Le tout est assez terne, voire soviétique. Il faut vraiment aller chercher très loin les souvenirs des parfums pour faire résonner un peu de plaisir et de joie dans ces plats. D'autant que je commence à m'ennuyer un peu dans ma cellule jaune de moine. Jusqu'à présent cette cuisine est très bouddhiste, très méditative, comme un sage sur sa colline qui chercherait au loin la vérité du goût. Pourtant c'est parfumé, mais ce parfums fluides sont difficiles à contempler, à garder en soi plus que quelques instants fugaces.

7. On commence à avoir de la gourmandise. Une alternance de dés de tambour, un petit poisson de mers chaudes, et de contre-filet de boeuf haché, marinés dans la sauce soja. Des pickles de radis et de feuilles de riz viennent réveiller le gras des viandes et le sucré du caramel de soja. On joue dorénavant sur un terrain qui m'est plus connu. C'est chaud, gras et ça pique un peu. J'arrive à me détendre enfin, à apprécier sans intellectualiser la dégustation.

8. Malacanthidae mariné au nuruk, cuit vapeur et sauce soja infusée aux têtes de poissons grillées. Les malacanthidae sont des poissons à la chaire rose nacrée et au goût de crabe et de homard. Leur chaire prend logiquement le goût de leur régime alimentaire. C'est un pendant plus maritime du plat précédent, avec son sucre, son sel, et des pointes de nuoc nam. Un nid de paille de gingembre cru vient ouvrir les narines pour mieux profiter des embruns des mers du sud. C'est la mer de Chine ou de Thaïlande qu'on sent dans ce plat. Une mer chaude et salée, exotique. Ce n'est pas l'iode des mers du nord que le chef est venu chercher ici, avec ses tempêtes et son air frais. C'est le cocotier sur la plage après une journée de plongée sous-marine, la langouste grillée, et le chauffeur de taxi qui, portes ouvertes sur le parking de la plage, diffuse son best of Bob Marley sur cassette audio piratée. Pourtant j'ai peur que le chef ne soit parvenu à m'emmener réellement sur cette douce baie protégée des vents. Comme s'il ne savait pas en profiter, austère,voire grincheux. Il la décrit, cette plage, mais ne la vit pas. Il est encore sur sa montagne et toise cette plage. Il en tire l'essence mais en oublie le superflu qui en fait toute la joie de vivre.

Les instruments à cordes traditionnels qui sifflent doucement dans les enceintes commencent à me courir sur le haricot. Cette cuisine, c'est comme regarder un film d'Haneke. C'est beau mais c'est triste. Mais c'est beau. Mais c'est triste. C'est une cuisine de toute fin de générique. Une cuisine de fin de tournage. Une cuisine d'au revoir. C'est une cuisine de larmes en fondu enchaîné. C'est l'histoire de petits enfants handicapés juifs pendant la deuxième guerre mondiale. C'est une histoire de bâtiments gris oubliés. Une histoire de film suédois où la mort joue longtemps aux échecs. Un Bergmann. Un "must see", un chef d'œuvre, un grand drame, mais d'une austérité ! Je me demande si je vais pas piquer du nez avant la fin. Il me reste dix plats. J'en suis à un moment clé de l'intrigue. Mais j'ai le menu sous les yeux. J'ai été spoilé.

9. Anguille fumée au foin, marinée au goshujang, ce fameux et délicieux piment fermenté, puis légèrement grillée. L'anguille grillée est mon poisson favoris. Bouillie dans sa base à l'anglaise, elle est horrible de cartilage et de mâche élastique désagréable. Mais fumée et grillée à l'asiatique, croquante et fibreuse, moelleuse et tendre, relevée de citronnée et gingembre effiloché et sec comme un radis, sans pulpe ni jus, elle apporte un peu d'action dans la course de fonds du menu. Le brunello di montalcino a la sucrosité d'un balsamique réduit en confiture. On pourrait presque le tartiner sur de grandes tranches de pain de campagne grillées qui accueilleraient en leur sein un joli jambon cuit aux herbes.

10. Pâte de ginseng rouge, chou chinois, poire de naju. Toute ronde, comme une pomme, la poire a été vidée et farcie de chou cru mariné dans un mélange de miel de châtaignier et d'herbes traditionnelles. Encore une fois, tout est dans la mesure et le bouillon clair qui sert de nage à la poire farcie au chou est servi glacé. Il développe une belle minéralité désaltérante. Le ginseng est préparé en loukoum. Un petit cube élastique, apéritif du bouillon de chou et poire.

11. Plat-de-côtes hachée et marinée à la sauce de dattes, truffes, ormeaux. Chou, sauce aux anchois, piment, châtaignes et poire. Tiges de coriandre et de kaloupilé marinées et fermentées, prune confite au sel, feuilles de thé pochées. Le pickles de prune rappelle la date dans sa texture et sa sucrosité fraîche, que l'on prend plaisir à retrouver dans la viande farcie aux ormeaux. Ormeaux et viandes se marient bien, et font totalement disparaître la truffe blanche chinoise décidément nettement moins parfumée que notre truffe noir du Périgord. Les anchois se sont faites oublier derrière le piment, et le chou se transforme alors en kimchi frais et allégé en goût. La petite sélection de plantes est vraiment typique, jamais auparavant je n'avais mangé tant d'herbes servies non pas comme aromates, mais pour leurs propriétés gustatives propres, cuites, crues ou fermentées. Le kaloupilé diffuse ses parfums terreux et poivrés qui feront de lui, une fois sec et broyé, la base de tous les curry du monde, de Londres à Djakarta, de Kyoto à Saint Denis.

12. Riz cuit au vivaneau dans son pot en terre, soupe de champignons, kimchi, sauce soja au tofu, pommes de terres, saint Jacques. Chaque pièce est servie dans de petits pots en fer dorés qui tintent au contact des baguettes en fer. Il faut piocher de ci de là et ça résonne comme de petits carillons dans ma cellule de moine. Le riz a un fort goût de terroir, de force. Terreux, il me rappelle la cachupa capverdienne et offre a voir une cuisine plus populaire de Corée, celle faite des restes, des fumets et carcasses de poissons. C'est plus réconfortant, plus généreux. Plus simple et direct.

13. Juste un diffuseur de fumée de pin. Inhalez la fumée. Attendez. Rien ne se passe d'autre et c'est normal.

14. Pat bing su. Glace de haricots, poudre de coco gelée, lait de soja. Les haricots rouges sucrés sont habituels de ce côté ci de l'Asie. Un peu amers et râpeux, granuleux, ils rappellent la confiture de châtaigne.

15. Je commence à saturer d'informations et l'assortiment de mignardises ne fera l'objet que de très peu d'attention. Un mini cookie aux algues, très thé matcha, un feuilleté à la pérille, une herbe médicinale également appelée shiso au japon au goût très pop corn, thé infusé au sarrasin. L'omija, la baie aux cinq saveurs cuisinée en gelée me rappelle l'hibiscus des boissons africaines, racines de campanules.

The End.

Révélation star seoulite du Michelin 2022, Soigné se situe sous un parking du quartier huppé de Gangnam. L'entrée se fai...
15/06/2022

Révélation star seoulite du Michelin 2022, Soigné se situe sous un parking du quartier huppé de Gangnam. L'entrée se fait par un voilage blanc qui donne sur un grand bar carré en marbre noir. Le sommelier et les serveurs officient au centre, alors que la cuisine occupe le côté gauche du carré. Chaque client mange alors côte à côte. Moi, ça m'arrange, j'aime manger seul au bar. On est seul face à son assiette mais en même temps au cœur de l'action. Une tablette tactile est posée devant chaque duo de couverts en guise de menus. La serveuse s'adresse à moi dans un anglais très difficile à comprendre à cause d'un accent très prononcé et les masques encore obligatoires pour le personnel. Il faudra deviner ce que je vais manger avec les quelques pistes que j'ai emmagasiné et les intitulés très vagues du menu.
La cuisine de Soigné est issue d'un long héritage culturel reposant sur trois piliers : la nourriture comme médecine (comme remède et comme cure préventive), la saisonnalité découpée en douze mois et la fermentation permettant de garder des aliments cueillis à pleine maturité tout au long de l'année. Ses ingrédients sont issus des montagnes (les herbes et fleurs), les mers (la Corée est une péninsule donnant sur des mers parmi les plus riches du monde), et les plaines (les graines sont le ciment de la cuisine coréenne).

Tarte de namul : Namul est un terme générique en coréen pour définir des plats faits de végétaux, herbes, fleurs, branchages, pousses... Pousses ressemblant à de la moutarde, fleurs colorées, herbes, oeuf de caille parfait de cuisson au jaune nacré sont assemblés sur une fine pâte à tarte. On est en plein printemps, sur la fameuse saveur umami, indescriptible.

Maïs doux : tout petit tacos de fromage fondu séché ultra fin, carré de maïs doux cueilli en pleine saison, crème citron. C'est acidulé et sucré en même temps, c'est bien mignon, très régressif

La tablette, pleine page blanche posée devant moi me crispe les yeux. Quelle idée saugrenue...

Saint Jacques aux herbes : tartare de St Jacques confites au sel fou, pickles de chou rave, herbes, fleurs et jus au citron. Il y a de l'aneth, et des parfums de jus de cuisson de moules. La texture de la Saint Jacques crue balance bien avec les pickles de chou rave. le tout est très subtil, rien ne l'emporte sur les autres. Une saveur est amer, l'autre plus fraîche et le tout laisse en bouche des parfums de prairies Suisses. Qui finissent par devenir entêtantes. Un final un peu en deçà.

La très jeune brigade s'affaire. J'étais le premier nous sommes dorénavant cinq, puis bientôt sept autour du bar. Le chef distribue les ordre dans le calme et l'atmosphère moitié affairée moitié zen est plutôt agréable. Même si le sommelier s'emm***e sec, et il me stresse. A plus de vingt euros le verre de vin, je vais pas le tenir occupé longtemps.

Orge et maigre : Je continue à ne comprendre qu'une explication sur deux distillée par la serveuse. J'ai devant moi un risotto d'orge au maigre fumé et maturé. Dessous, une purée de pignons de pin, et par dessus un bouillon tiède aux clams et au thé d'orge. C'est pas génial. Quelques tentacules brûlés, au chalumeau certainement, nagent au fond et apporte une touche de fun par le goût de pop corn grillé qui colle aux dents. Sinon, le tout est assez décevant, fade à force de vouloir être fin.

Mesuré, mécanique, mathématique, le service tourne à l'automatisme robotiques alors que le goût de brûlé des poulpes commence à déranger au fond de la gorge et fini par gratter au fond des molaires. Les couverts sont démesurément long et pour l'instant rien n'a été servi avec des baguettes. Joue-t-on un jeu à l'occidental ? Une cuisine coréenne certes, mais servie pour des occidentaux ?

Anguille et pousses d'ail : l'anguille est fumée trois jours et demie sèche, infusée au thé noir, puis grillée, et la mâche en devient semi élastique, semi tendre. Une cuisson réussie ponctuée d'ail ultra jeune, au stade de la pousse avec des zestes d'orange. C'est sucré, j'aime beaucoup le jus au thé. C'est la première fois que mon Côtes du Rhône blanc entre parfaitement en résonance. Un joli jeu de jambes sucré acide. Encore !

La tablette par contre... Je la pousse alors que la serveuse doit soit la contourner par le côté soit tenter de passer par dessus pour déposer les plats devant moi, ou récupérer les assiettes vides.

Pour la viande, un choix s'impose. Porc ibérique ou boeuf hanu. Boeuf, évidemment. Si le cochon ibérique est d'un exotisme fou pour la majorité de l'assemblée, c'est le boeuf qui continuera à me faire voyager. Surtout depuis l'expérience réussie d'hier. Le boeuf hanu m'avait été servit sans chichi dans un petit bouge de quartier. Que va faire de plus un étoilé Michelin ? Les autres clients n'ont pas l'air de beaucoup se faire plaisir. L'absence de face à face ne déclenche pas les sourires et la conversation. Ils mangent en silence comme assis devant les tablettes des wagons restaurant de la SNCF, à mâchouiller un club sandwich au pâte en regardant les vaches passer à toute allure
Servit en pavé grillé et reposé le boeuf semble moins persillé, plus musculeux qu'hier mais fit preuve d'une grande tendresse à la mastication. Plus puissant en goût par contre, comme maturé. J'entrevois des notes de confiture de prune et de fromages italiens. Une merveille trop chiche pour mon appétit.
Orange et fève tonka : une glace de fève tonka et vieux rhum au fort goût de cannelle sur une couche de toffee fondant saupoudré d'un tartare d'ananas et d'un granité orange-gingembre. Un espuma de noix de coco parfait le tout. C'est frais et ça fini bien le repas.

Je repars content mais un léger doute m'habite. Je ne sais pas si, malgré tout le talent et la bonne volonté de l'équipe, ce restaurant aurait eu son étoile au Michelin en France... Et je n'arrive pas à dire pourquoi. Je me suis fait plaisir mais je n'ai pas eu le coup de coeur de la semaine. Les souvenirs s'estompent déjà alors que je remonte à peine dans le bus pour un dernier tour des cuisines de rue. Ce soir j'aurais peut être des éléments de réponse, ma réservation chez Gaon, triplement étoilé est validée.

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Recueil d’aventures culinaires plus ou moins romancées

What The Food n’est rien d’autre qu’un recueil aléatoire et subjectif de mes aventures plus ou moins rocambolesques et romancées à travers les cuisines du monde. Ca se lit comme une multitude mini histoires, à piocher quand on s’ennui, et n’a aucune autre prétention que de donner un avis pas très autorisé sur les cultures culinaires du monde.