13/11/2022
Aller retour express à Paris Montparnasse pour tester pour vous Food Society, le plus grand food court d'Europe, à ce jour.
Montparnasse, descendez des escaliers de béton, traversez un centre commercial, oubliez les WC roses à votre droite, revenez vers les WC roses, tournez à gauche, passez devant la plonge commune aux 15 "restaurants" et vous serez les bienvenues dans ce temple du parisianisme neobeauf, version usine trendy et Gucci prolétariennes.
Plus qu'un véritable parc d'attraction foodiste aux dimensions hors normes (3500m2, 600 places, 15 restaurants, 2 bars, 1 scène) à l'esthétique douteuse entre fête foraine et plateau télé où le consommateur consumériste vient zapper de stand en stand sa dose de gras double à dos de trottinette électrique (sic), Food Society a le mérite de ne pas cacher ce qu'il est : un fabuleux piège à cons, du début de la chaîne de production tenue par le Moma Group à la gestion des flux gastriques des fameuses WC roses derrière la plonge centrale. Un parcours digne d'un Ikea du fast food vous y attend dès l'entrée et son plan de circulation, vous faisant passer non devant les canapés ou coussins que vous ne vouliez pas acheter, mais devant la quinzaine de comptoirs de fast food rondement bétonnés, comme autant de favelas banlieusardes qu'il aurait fallu appauvrir encore pour alimenter cet ogre de mauvais foie.
Devant, c'est une succession de name dropping, de Louie Louie à Blend, en passant par les sandwichs du Favori ou de Yemma, les kiosques de Mojo, lancé par Mory Sacko, le Monobar d’Adrien Cachot et la trattoria de poche de Fabrizio Ferrara, ou Coutume, l’un des torréfacteurs de référence dans la capitale. Nous sommes donc bien à Paris où le nom fait l'assiette. Où le who's who suffit à argumenter un plat, où l'entre-gens sert de gage de qualité. Et bien oui, malheureusement, c'est ce que semble croire Virginie Godart, la sélectionneuse des happy restaurateurs foodistes pour le compte de Moma Group, "créateur de concepts forts et de marques puissantes à Paris et dans le monde", annonce la première page de leur site internet. Et bien entendu, vous vous doutez bien que ce n'est pas mon avis. Mais pourquoi ?
Tout d'abord, la recherche du toujours plus dans une capitale mesurée d'un pays étriqué ne donne pas souvent de bons résultats. Pauvre en friches industrielles en centre ville, percluse de normes esthétiques, sécuritaires et morales, la capitale française n'offre pas plus que l'arrière boutique d'un centre commercial de gare comme écrin à ce qui aurait pu être une bonne idée. Bas de plafond, plus sale qu'industriel, le local est mal agencé et n'a ni le charme post punk du feu Papironen de Copenhague ni le chic du Time Out Market de Lisbonne. Bordélique, chaises en plein dans le passage, flyers qui trainent par terre, vue sur la boutique Claire's ou Celio, vaisselle sale pas débarrassée sur les tables, caisses vides et cartons empilés en vrac derrière les comptoirs, signalétiques illisibles, stands éparpillés selon un parcours sinueux, applications de commandes via téléphone mal foutue sont tout autant de contraintes, finalement reportées sur le client. Car choisir son pote qui fait de bons burgers dans sa boutique du onzième ne suffit pas à tenir une machine de guerre. Car si devant, c'est une succession de noms, derrière c'est une succession d'employés sous payés, peu qualifiés, débauchés de chez McDonald's ou KFC qui sont chargés de tenir la boutique. Et là, c'est la panique.
Exemple d'un parcours pour 4 empanadas, un plat syrien de boeuf rôti aux épices et une bière. Passez par le bar central, adressez vous au barman, faites vous rembarrer, adressez vous à la personne qui prend les commandes au bar, scannez le QR code, donnez gratuitement vos informations personnelles, attendez la fin des pubs, choisissez votre bière, payez en ligne, attendez un SMS de validation, adressez vous à nouveau au barman qui acceptera alors de vous servir dès lors que vous montrez votre attestation de paiement, allez vous asseoir, scannez à nouveau le QR code, attendez la fin des pubs, , choisissez vos empanadas, payez, choisissez votre plat syrien, payez, recevez une notification de mise à disposition de vos empanadas, cherchez le stand à empanadas, trouvez le stand, retournez vous asseoir, buvez une gorgée, croquez dans un empanadas, recevez une notification de mise à disposition de votre boeuf aux épices, laissez vos empanadas sur la table, cherchez le stand Syrien, qui s'avère être partagé avec le stand de sandwich mais c'est pas bien compréhensible, prenez votre plateau, revenez à votre table, espérez que vos empanadas soient encore là, asseyez vous et goûtez. Et tout ça pour quoi ? De la m***e pour chiens. Car encore une fois, dire que c'est untel qui a apposé son nom sur le stand ne suffit pas à ce que la bouffe réalisée par des cuisiniers non qualifiés, sans formation, sans motivation soit bonne ou que le lieu soit bien tenu. Dire que untel se fournit en telle ou telle qualité de produits dans sa "fabrique à sandwich" (on ne dit plus une sandwicherie, provinciaux que vous êtes) ne garantie en rien qu'il le fera dans sa vitrine du Food Society, les volumes n'étant en rien comparables (un charcutier de qualité ne peux pas forcément fournir autant de marchandise...). C'est servi à la truelle, version cantine de prison, c'est complètement insipide. Vous essayez de prendre du plaisir à vérifier que les carottes râpées aient le moindre intérêt, et, réfléchissant à chaque mastication, vos yeux s'égarent de papiers gras jeté par terre en vaisselle empilée sur des chariots.
Reste la bonne nouvelle : voir la hype parisienne se gausser de "in-cro-yable" et de "j'adore" devant un type déguisé en jogging floqué de tous les emblèmes des équipes de deuxième division de football se dandiner devant un clavier strident, second degré forcé par les circonstances, renversant le jus de sa pizza au gazon sur ses Stan Smith customisées à la laque dorée, alors que monsieur et madame tout le monde passent par là pour tout simplement prendre le métro derrière le centre commercial de la gare Montparnasse.
Aaaah, se frotter, de loin, caché derrière ses lunettes noires et son application dédiée, au peuple qui vous sert et au peuple qui œuvre, qui cavale de correspondance en correspondance, n'est ce pas là le plus grand regal que peut s'offrir la hype parisienne ? Après tout, manger, dans un restaurant, c'est secondaire. Ce qui compte, c'est la table qu'on y occupe. Pas trop loin du DJ.