24/10/2024
Sale temps
Navigation au doigt mouillé
Réveillé en pleine nuit par le vent qui souffle en furie et met les rideaux du bungalow à l’horizontale, j’entends tout claquer : portes, volets, branches du vieux manguier, palmes des ravenales et jusqu’aux lourds feuillages des gros badamiers de la plage. Je me rendors en cauchemardant sur l’idée que bientôt il faudra naviguer dans un mauvais temps assuré. A l’aube, il pleut déjà fort et le vent souffle toujours en rafales, quant à la visibilité en mer, elle est nulle. Nous devrions pourtant rentrer dans deux jours à Maroantsetra. Une navigation qui dure neuf heures quand tout va bien sur le bateau-brousse affrété pour l’occasion. Alors, comment sera la mer ? Ici, on consulte quand on peut le site Mtotec, référence en matière de prévisions cycloniques ... le site Windguru indispensable pour le vent et l’état de la mer ; houle, hauteur des vagues, force des rafales. C’est pas Vasco de Gama, ni Thor Heyerdahl, ni Moitessier, et nos navigations Malagasy restent assez rudimentaires, car question assistance il ne faut compter sur personne. Il faut consulter à temps et interpréter. Comment faire quand le réseau téléphonique est quasi nul because la pluie et l’absence d’antennes relais. Donc pas de réseau internet ou si faible avec ma pauvre clé 3G qui, par temps «normal» pé**le souvent dans le vide. Pour capter un éventuel signal, je dois escalader une colline voisine dont le sommet me sert de cyber-café en temps normal, quand «tout va bien». Sous le déluge c’est plus compliqué, mais je peux m’abriter sous l’auvent troué d’une case de brousse, celle de mon voisin Monsieur Arland, même gu**le que celui dans Tintin et le crabe aux pinces d’or… Le sentier s’est transformé en torrent de boue rouge dans laquelle je patauge jusqu’au mollet. Pour atteindre la colline il faut aussi traverser jusqu’aux genoux une rivière qui, en temps normal s’écoule paisiblement dans la mer par une embouchure praticable. Dès qu’il pleut, elle gonfle et devient profonde. Après avoir bataillé pendant près de deux heures avec la technologie défaillante et tenté de téléphoner à l’un, l’autre pour piloter une consultation internet à distance, j’obtiens quelques renseignements qui me permettent de statuer sur le caractère «modéré» de la tempête tropicale que nous subissons. Il ne me reste plus qu’à convaincre le capitaine et préparer le chargement du bateau pour un départ le lendemain, avant le jour. Je reprends le toboggan de boue pour redescendre la colline. Surprise ! Le niveau d’eau de la rivière a au moins quadruplée c’est un courant violent qui se présente maintenant. Je fais quelques tentatives sur les cotés, puis renonce. Ne pas se noyer devient l’idée principale, assortie d’un corollaire : ne pas tomber dans l’eau avec une sacoche contenant mac-book, iphone, clé 3G, billet d’avion, argent, passeport etc… Nous sommes plusieurs à sonder la rivière pour tenter le passage mais décidément, le risque est trop fort. J’attendrai donc près de cinq heures avant de tenter la traversée de ce cours d’eau qui n’est qu’une « mise en bouche » de la navigation à venir. Mais le plus dur reste à venir puisque nous allons naviguer.
Pour naviguer au large et rejoindre Maroanatsetra, tout au fond de cette baie d’Antongil creusée de presque cent kilomètres, il faut d’abord sortir du lagon de Masoala, assez protégé par les quatre îles qui relient les barrières de corail. Ce n’est pas si compliqué, encore qu’il faille éviter les récifs immergés qui fleurent la coque. En temps calme, c’est facile… Mais c’est au large, passé les îles que les choses se compliquent et que la mer se creuse dans cette dépression de la baie de Fotanambe, pas si loin d’ici.
Même s’il s’agit de navigation côtière, nous naviguons ici sur des embarcations «aléatoires», dont les moteurs tombent souvent en panne, dont le carburant n’est pas assez raffiné pour assurer une combustion normale, dont l’entretien est insuffisant, voire inexistant pour partir serein en mer.En janvier dernier, j’ai du traverser la baie pour rejoindre le port de Mananara. C’est mon ami Soanibe, épicier du village que je connais depuis longtemps qui m’a convaincu de monter sur ce bateau brousse récent … Mais il a d’abord fallu attendre que le capitaine dessoûle de sa cuite de la veille, puis à mi traversée, le moteur s’est arrêté alors que les vagues de travers nous secouaient et provoquaient malaises et vomissements des passagers, et c’est dans cette houle formée que le mécanicien a démonté son moteur sans perdre les «vis papillon» et une fois remonté, il a réussi à le faire repartir pour ensuite finir sa sieste et cuver son alcool en naviguant avec un pied posé sur la barre… Quel confort.
Des navigations difficiles, j’en ai connu. Comme ce trajet dans des creux de trois et quatre mètres où le bateau piquait du nez pour entrer dans la vague qui lessivait le pont en bas de course avant de remonter à 45° jusqu’à sauter le haut dans un vide qui le faisait retomber brutalement dans la vague suivante qui fuyait vers l’abime. Pendant ce temps, ils étaient trois ou quatre a remplir des seaux en fond de cale qui puait le gasoil pour les remonter sur le pont et les vider à la mer, car de pompe de cale, cela n’existait pas dans ce bateau pourtant rassurant d’apparence.
Question visibilité, j’ai atteint le fond et frôlé le pire un jour de décembre alors que je naviguais en kayak de mer à voile pour rallier en cinq jours le port de Maroantsetra depuis notre écolodge de Masoala. Le mauvais temps nous a rattrapé dans le golfe d’Ambanizana et c’est sous une pluie diluvienne que nous avons franchi les trois dernières étapes de cette traversée ; la visibilité était tellement nulle que nous suivions le bord du littoral à 50 m et sommes arrivés trempés, rincés, éreintés, au village de «Gros Michel» pour y demander asile. Les gens nous ont merveilleusement accueilli comme on accueille des naufragés que nous n’étions pas, mais presque… Nous y avons dormi, séché, et repris des forces pour que le lendemain, un jeune de la famille nous conduise en naviguant lui même jusqu’à la pointe qui permettait de traverser dans le brouillard jusqu’en face de la baie …
Une fois traversé la baie dans sa section la plus courte et moins dangereuse, nous avons longé la côte pour rejoindre l’île de Nosy Mangabe, en face de Maroantsetra, très difficile d’accès. Et le mauvais temps nous y a rattrapé pour nous faire subir un calvaire de plusieurs heures de grosses vagues à négocier en kayak déstabilisé par une forte houle et la pluie dans les yeux qui ferait perdre les repères. Je cherchais un point de plage mais devant moi que des vagues et des rouleaux … jusqu’à la nuit qui a calmé la mer et nous avons pu accoster en douceur sur le sable qui nous avait refusé cinq heures de suite, et d’épuisement.
je précise que la photo est prise à bord du kayak, à la 4° heure de navigation ... devant Nosy Mangabe que l'on devine et nous n'avons touché la terre que 4 heures plus t**d. = 8 heures sous cette pluie et cette houle démente... Mais la fin a été heureuse et joyeuse !