10/03/2024
(SUITE) POUR CONTRER LA CONNERIE !
Problématique du loup
D’abord, le contexte économique : la filière ovine, confrontée à la mondialisation des marchés et à la baisse régulière des cours de la viande, connaît une véritable récession. Les éleveurs français subissent une très forte concurrence de la Nouvelle-Zélande et de la Grande-Bretagne (celle-ci compte 40 millions de moutons contre 9 millions pour la France). La production française est en baisse depuis 20 ans et ne couvre plus que 40 % de la consommation totale de viande d’agneau (60 % de la consommation nationale sont donc importés). Sans les primes, qui représentent plus de la moitié du revenu des éleveurs, l’élevage ovin ne serait plus rentable. D’où la disparition progressive du métier de berger dont le coût ne peut plus être supporté par les petits éleveurs.
Ensuite, le contexte sanitaire : s’il est vrai qu’en 5 ans, de 1993 à 1997, la mort de 5000 brebis a été imputée au loup, les maladies ont provoqué bien plus de dégâts dans les troupeaux. : durant cette période, la seule brucellose ovine (maladie transmissible à l’homme) a occasionné l’abattage de 50 612 moutons contaminés dans la seule région PACA (les chiffres de cette maladie – heureusement en régression – ne sont plus publiés, c’est pourquoi, nous ne pouvons fournir ici de données actualisées). Le traitement de cette maladie a un coût pour la collectivité : 43,5 millions de francs en 1996. Les brebis abattues sont remboursées 64 € à l’éleveur. En cas d’attaque de loup, la moyenne des indemnisations est de 155 € par animal. La brucellose n’est pas la seule maladie de l’élevage, on peut aussi citer la tremblante ou l’agalactie contagieuse (4 500 brebis abattues en 1993 dans les Pyrénées), ou encore la langue bleue qui est en progression. Cet impact, nettement supérieur à celui du loup, n’est curieusement pas apprécié de la même manière... François Moutou, vétérinaire, remarque « qu’il serait dommage que l’énergie développée contre la présence du loup se fasse au détriment des actions sanitaires, nettement plus chères pour la société » (voir Coût des maladies de l'élevage). Le nombre d’animaux envoyé à l’équarrissage est lui aussi stupéfiant : 700 000 ovins-caprins en moyenne chaque année, en France, dont 12 000 dans les Alpes du Sud. Et ce chiffre ne tient pas compte des brebis mortes en montagne et qui ne sont pas redescendues.
Enfin, les chiens errants : le problème posé aux troupeaux - et à la faune sauvage - par les chiens en divagation (en France, il n’y a quasiment pas de chiens ensauvagés) est permanent et propre à toutes les régions. En extrapolant les études menées dans certains départements (74, 05,38 + enquête nationale de G. Joncour) avant l’arrivée du loup, on évalue à au moins 100 000 le nombre de moutons tués tous les ans par des chiens. Soit environ 15 000 à l’échelle des Alpes. Cependant, la façon d’estimer l’impact du loup, comparativement à celui des chiens, est influencé par notre imaginaire, l’inconscient collectif et notre relation à la nature. L’exemple des morsures de chiens est significatif de cette différence d’appréciation : la France enregistre chaque année, en moyenne, 200 000 cas de morsures de chiens sur les humains et il arrive même que des enfants soient tués. On ne met pas à mort pour autant tous les chiens ! En revanche, quand le loup tue quelques centaines de moutons (destinés à l’abattoir), on demande son éradication... On n’ose bien sûr imaginer le tollé que produirait une attaque de loup sur un homme !
« La prévention ne sert à rien, il est impossible de protéger les troupeaux des attaques des loups ! »
C’est faux. De nombreux exemples dans le monde entier prouvent le contraire (Italie, Espagne, Europe de l’Est, Nord-Ouest des Etats-Unis, etc). Dans le Wyoming et le Montana, par exemple, les éleveurs travaillent en présence de nombreux prédateurs : grizzly, loup, puma, coyote... et obtiennent d’excellents résultats grâce au gardiennage des troupeaux et aux chiens de protection. Depuis 1993, la protection des troupeaux a grandement évolué en France et a démontré son efficacité ; les attaques sont en baisse constante sur les troupeaux où la prévention est correctement utilisée.
En Savoie, 72 % des brebis dont la mort est attribuée au loup sont issues de troupeaux non protégés, 4 % seulement sont issues de troupeaux bien protégés (étude DDAF 2004). Rappelons que la protection des troupeaux est prise en charge au moins à 80 % par l’Etat et l’Europe (chiens patous, bergers et aides-bergers, clôtures électrifiées – voir le détail des aides) et que le gardiennage permet non seulement d’éviter les attaques des prédateurs mais aussi de lutter contre le surpâturage (lire à ce sujet notre dossier « pastoralisme et biodiversité») et de réaliser un meilleur suivi sanitaire des brebis.
« Les attaques n’arrêtent pas d’augmenter. »
Non, sur les massifs où le loup est installé depuis plusieurs années, les attaques n’augmentent pas, au contraire. Elles ont augmenté globalement, à l’échelle des Alpes, jusqu’en 2005 car le loup a étendu son territoire, touchant du même coup des troupeaux qui n'étaient pas protégés. Et il faut un certain temps pour la mise en place de la prévention : son acceptation par les éleveurs d’abord, puis l’introduction de chiens de protection dans les troupeaux et leur éducation.
« Les patous sont des chiens dangereux, ils font fuir les touristes et attaquent la faune sauvage. »
On se demande alors pourquoi les chiens de protection des troupeaux sont utilisés avec succès dans le monde entier ! Un patou mis en place dans de bonnes conditions au sein d’un troupeau ne pose pas de problème et ne s’attaque pas à la faune sauvage s’il est nourri correctement (pourquoi alors ne parle-t-on jamais de l’impact des chiens de conduite sur la faune ?). Deux études menées dans le Mercantour et dans le Queyras ont démontré que ces chiens sont bien acceptés par les randonneurs. Il n’en demeure pas moins que certains touristes doivent apprendre les règles élémentaires de bonne conduite et éviter de traverser et déranger les troupeaux.
« La présence du loup impose des contraintes insupportables aux éleveurs et aux bergers. »
Certes, c’est une charge de travail supplémentaire mais qui bénéficie des mesures d’accompagnement déjà citées. Chaque métier a ses contraintes spécifiques et doit s’adapter à l’évolution de la société. Cela dit, la présence du loup permet aussi de revaloriser le métier de berger (dont plus grand monde ne se souciait avant le retour du prédateur) et de créer de nouveaux emplois (de bergers et d’aides-bergers). De nombreux abris pastoraux et cabanes d’alpages, jusqu’alors en ruine, sont aujourd’hui remis en état sur des fonds publics - grâce au retour du loup -, permettant ainsi aux bergers d’être logés plus correctement.
« Le loup coûte trop cher à la collectivité ! »
La protection de la nature a un prix, comme tout autre chose. Le montant des deux programmes LIFE-Loup (1997 - 2003), a été de 4,7 millions € pour l’ensemble des Alpes et pour 7 ans (incluant indemnisations, mesures de prévention, suivi scientifique), soit 671 000 € par an. Soit 0,01 € par an et par habitant. A comparer, par exemple, au coût du traitement des maladies de l’élevage de 46 000 000 € en 2004 (voir encadré 2).
A titre de comparaison, le coût de gestion de nos ordures ménagères est de 30 à 75 € (selon les sites) par an et par habitant.
Par ailleurs, les productions agricoles (majoritairement les céréaliers) bénéficient chaque année de plus de 11 milliards € de soutien. Alors, trop cher, le loup ?
« Le loup va proliférer, il y a en déjà plusieurs centaines dans le Mercantour ! »
Impossible. 4 meutes sont présentes dans le Mercantour, soit une vingtaine de loups. Une cinquième pourrait peut-être s’y installer mais guère plus. Le loup est un animal territorial qui occupe de vastes espaces : 200 à 250 km2 pour une seule meute. Seul le couple dominant se reproduit une fois par an et moins de la moitié des jeunes parvient à l’âge adulte. Le loup est capable de pratiquer l’auto-régulation de ses effectifs et d’ajuster sa reproduction aux proies disponibles. Un super-prédateur ne prolifère jamais sans quoi il mettrait en danger ses populations-proies et donc lui-même. La nature est bien faite !
« Le loup tue pour le plaisir et provoque des carnages. »
Dans des conditions naturelles, le loup ne tue que les animaux nécessaires à son alimentation et à celle des louveteaux. La capture d’une proie ne réussit qu’une fois sur dix et il n’a pas d’énergie à perdre à tuer plus que de besoin. Mais des cas exceptionnels d’over-killing (selon le terme scientifique) peuvent se produire sur des proies domestiques : le loup choisit ses proies en fonction de critères bien précis, de manière à avoir le plus de chances de réussite possible. Sur une harde de chamois, par exemple, il choisira celui présentant les caractéristiques de la proie idéale (animal affaibli, blessé ou âgé, bref dont les moyens de défense et de fuite sont amoindris). Le problème peut se poser (comme à tout autre prédateur) quand le loup a en face de lui quantité de proies potentielles présentant toutes les caractéristiques de la proie idéale. La prédation peut alors dépasser les besoins alimentaires.
Ce phénomène est tout de même assez rare comme en témoignent les statistiques effectuées dans le Mercantour, à partir des attaques sur les troupeaux domestiques :
49 % des attaques tuent 1 à 2 brebis. 25 % des attaques tuent entre 3 et 4 brebis. Seules 26 % des attaques ont occasionné la mort de plus de 4 brebis. (Source : rapport LIFE-Loup de février 99).
Cela est confirmé par des études récentes menées en Italie et en France (cf La voie du Loup n° 19) : 2 à 3 brebis en moyenne sont tuées lors d’une attaque de loups ; tandis que les chiens provoquent la mort de 10 brebis en moyenne par attaque.
« Les brebis tuées par le loup meurent dans d’atroces souffrances. »
Cet argument hypocrite vise d’abord à faire oublier que la majorité des brebis sont élevées pour leur viande et sont donc destinées à l’abattoir.
Une brebis tuée par un loup va connaître quelques secondes d’effroi et mourir très rapidement sur la pâture où elle vivait. Les 6 millions de moutons (brebis, agneaux) tués chaque année dans les abattoirs subissent le stress du transport et de l’attente une fois sur place dans une ambiance et des odeurs sans équivoque et dans des conditions d’abattage souvent discutables.