
06/04/2025
6 avril 2025
A peine mit-il le pied sur la première marche de l’escalier qui menait à la cave, qu’un malaise le prit. Le gaillard tituba, éplucha sa banane. En quelques secondes, sur l’écran mémoire, défilèrent, bons et mauvais souvenirs. Une crise cardiaque le terrassa. L’homme s’affala, tête première, sur le sol de terre battue, mort.
Ça s’est passé ainsi, sans certifier. Je tiens le récit du fils. Il me l’a raconté pour expliquer son refus irrémédiable de mettre pied dans un estaminet. Son père, alcoolique, y avait ses habitudes, y dépensa l’essentiel des revenus familiaux. C’est motif suffisant pour abhorrer ces lieux, évoquant un passé douloureux..
J’interprète un peu , léger, en parlant de « banane ou « d’écran mémoire ». J’ajoute, expérience personnelle quand, par deux fois, la gueuse fit cet effet sur mes parois, qu’elle vint souffler son rigodon funeste entre mes bronches et mes vertèbres.
Je n’allume pas, au gaz gaieté, mon réverbère, pardon. Je l’ai vu hier, le bonhomme, Nous ne nous étions pas vus depuis des années lorsque nous nous croisâmes sur l’artère principale de la ville. Cela suffit pour que ces lignes soient l’entrée de ma matière.
Plus léger. La barmaid tortille de la fesse mais ne pétille pas de l’œil. Elle couine grave à l’exercice du vocabulaire et celui de l’orthographe. L’handicap est flagrant lorsqu’elle rédige le menu sur l’ardoise. Elle mélange aussi pinceaux dans les bocaux du calcul. Combien de fois ai-je dû la reprendre sur un rendu de monnaie ?
Cependant, elle trottine gentille, affable. Un sourire naturel, non ravagé par le rictus mercantile, illustre, en toutes circonstances, son visage poupin. Il la trouve idiote, Émile. Je n’irai pas jusqu’à là. Il faut causer avec une fille pour attester qu’elle soit sotte.
Toutefois, elle ne manque pas d’ambition. Ultimatum, elle a posé à son patron, augmentation ou démission. Le boss a accepté la seconde.
Je ne reverrai donc plus ses décolletés échancrés, ses appâts moulés dans des vêtements sexy.. Qu’importe, ma cafetière imaginaire n’en sera pas touchée. La marginale, ronronne, depuis toujours, indifférente, au paraître artificiel. Il eut fallu qu’une flamme, ce plus de l’âme, brûle dans ses prunelles pour m’affliger de ce changement de détail sur ma nappe multicolore.
Bach ne joue que pour moi. Je l’écoute depuis ce matin. Sa musique encense mes sens, jusqu’à éveiller mon verbe.. J’ai coupé le chauffage. Avril affiche du mai à ma fenêtre. Je flotte, sur une vague de notes. Elles rendent compte du possible, là-bas.
Je ne le définis pas, bien-sûr. J’essaie de le faire sentir. J’égorge mes soucis à la lame d’une sérénité, tant cherchée. J’emmerde peut-être en évoquant ma béatitude. Je m’en fous. J’écris, peur de la voir s’en aller.
Je ne vous oublie pas, pour autant. Je charge ma charrette des fa**ts de la semaine Je tente jusqu’au dernier moment de donner un peu d’embonpoint aux malingres. Si je n’y parviens pas, les phtisiques retourneront dans le tiroir. Ils attendront d’éventuels nouveaux soins.
Quant à ceux, proposés à votre lecture qu’il ne s’imaginent pas finis, la perfection est l’illusion des sots.
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VIVRE EN POÉSIE QUOI
Vraiment, faut pas soupirer. La diète des émotions n’est pas pour demain. Chaque matin, je me lève, je m’épate à l’exercice de capter dans le diffus, un frétillement, à peine perceptible. Je m‘extirpe du théâtre. Je furète dans les coulisses. Je saoule ma trogne, d’émerveillements..
Si je ne l’avais pas eu cette incroyable capacité à m’extraire du grégaire et de sa forme grossière du bonheur, j’eus chu sous la tenaille des normes. Je n’existerais pas. Je ne figurerais que pion d’un système, uniquement présent, pour n’être qu’un consommateur sur le zinc du faux.
Et tout cela me nuit et tout cela me ravit, d’être différent. Tout ce que je fis, maladroit fut-il, se réfère à cette acrobatie, tenir sur un fil tendu, avec en main, le feu incandescent d’une torche. Vivre en poésie, quoi.
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MULTIPLE
On peut tourner autour. On peut même l’effleurer. On est parfois si près qu’on croit la toucher. Mais, on constate, dépité, qu’on s’en éloigne, dès qu’on la théorise..
Elle ne possède pas qu’une face. Multiple, elle navigue dans le complexe pour exprimer la simplicité. Seule, l’authenticité peut la ramener sur notre esquif. Il faut rester hors des manigances sociales. Je parle encore, poésie. Je parle toujours, poésie.
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PRÊTRE
Quand on n’y voit plus
très bien
entre le motif et l’émotion
allons cessons d’interroger
la création
Soyons prêtre qui accueille.
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EMPATHIE
Le bistrot battait de l’aile.Y avaient deux lascars bedonnants, dans le lieu, moi et le patron. Nous buvions whisky. La poussière couvrait les meubles. La serveuse, jupe courte et serrée, blonde filasse, efflanquée, beau cul et seins, œufs sur le plat, bâillait, piquant du nez sur son tabouret.
Alors, maintenant, c’est quoi aimer sinon que ressentir la néant de l’autre, comme le sien.
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CHANGEMENT DE MÉTÉO
Le gris jourd’hui
remplace le bleu d’hier
Il goutte de la pluie
sur l’ardoise du toit
Le ciel change sans prévenir
prestement versatile
la couleur de son jupon
Mon cerveau gogol
en est tout déboussolé
Où va-t-il trouver
la note entraînante
que lui distillaient
la veille les rais pétant
d’un soleil généreux ?
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A LA POÉSIE
Ne pas mourir
tout de suite
Prolonger
tes effets
sur d’autres peaux
Serge Mathurin THÉBAULT