03/06/2024
Ibora, Atoupa, Joseph Noble.
Quel curieux destin que celui de ces 3 personnages.
Destin curieux mais ô combien tragique que je vais vous raconter.
Ils ne sont pas saumurois, loin de là (sans jeu de mot), mais leur destin est lié à Saumur.
Tout d'abord Ibora et Atoupa.
Tous les deux sont nommé dans le testament de Duplessis Mornay et sa femme, Charlotte d’Arbaleste.
Mais faisons un petit retour en arrière pour bien comprendre : 😀
En 1580 François d’Anjou parvient à négocier la paix avec les Grands du parti Huguenot qui aboutit au traité de Fleix.
Mais Duplessis Mornay craint un coup fourré de la part des Guises. Il décide d'allumer un contre-feu en dirigeant une guerre contre l'Espagne ; sait on jamais.
Cette guerre, Duplessis Mornay la veut surtout commercial, en bloquant, reprenant les routes commerciales, les ports commerciaux du Nouveau Monde aux Espagnols.
Mais pour ça il faut parvenir à mettre d'accord non seulement plusieurs pays (l'Allemagne, l'Angleterre entre autre), mais aussi unir les Eglises Réformées. Tâche des plus ardus, mais Duplessis a une lueur d’espoir d’autant plus que tout le monde est d’accord, sauf l’Angleterre qui se fait attendre.
Tache ardu qui est mise à mal en 1584 lorsque la ligue catholique, organisée par les Guises, signe un traité d'alliance avec le roi d'Espagne.
Quoiqu'il en soit, en contact avec les marins huguenots et les corsaires anglais, qui lui livrent de nombreuses informations et récits, Duplessis Mornay s’intéresse de prés à tout ce qui se passe au nouveau monde et à ses habitants.
Parmi ces contacts se trouve un certain Daniel de la Touche, seigneur de La Ravadière. Il est originaire du Poitou et également protestant. En 1594 il effectue son premier voyage de reconnaissance vers le Brésil.
En 1603 il prépare une prochaine expédition en Guyane, pays qu’il connait bien pour y avoir conduit plusieurs expéditions. Souhaitant avoir plus d’informations, il se rend auprès de Duplessis afin de lui demander conseil. D’autant plus que Duplessis possède de nombreux ouvrage écrit par des explorateurs.
La rencontre a lieu en 1605.
En 1606, Charlotte d'Arbaleste, épouse de Duplessis, est en mauvaise santé depuis la mort de son fils. Son état est tel le couple décide de rédiger un testament.
Dans ce testament il est question d'Ibora, Atoupa, deux jeunes indiens vivant au château de Saumur :
L’aîné, nommé Ibora, ayant déjà été instruit dans la religion chrétienne, Duplessis ordonnait qu’Elisabeth de Mornay, sa fille, et Jacques de Saint-Germain son gendre, s’efforceraient de le faire baptiser.
Atoupa, le jeune frère d’Ibora, serait confié à Anne de Mornay, son autre fille, et Jacques des Nouhes, son gendre, avec recommandation de « lui faire apprendre ès-lettres tout ce dont son esprit serait capable ».
Dans le testament, il est indiqué que « Toutefois, si le sieur de la Ravardière s’avisait de demander cet Indien pour le « voyage des Indes », alors il devrait promettre, lui aussi, de le faire instruire et de le faire baptiser. »
Ce qui laisse supposer que les deux enfants devaient servir d’interprète entre les colons et les tupinambas, nom donné aux tribus d’Amazonie. On suppose également qu’Ibora et Atoupa ont été donné à Duplessis en 1605 par La Ravardière.
Le 27 juillet 1608 le secrétaire du consistoire de l’église réformée de Saumur, chargé de tenir le registre de la communauté, note la sépulture « d’un Indien estant à M. du Plessis, gouverneur ». Il n’est pas fait mention du nom. Ibora ? Atoupa ?
Mais une chose est sur, à Saumur, ville située le long de la Loire, fleuve qui se jette dans l’Atlantique, océan menant au Nouveau Monde, se trouve une sépulture rappelant le souvenir de Duplessis pour ses pays lointains.
De (très très) longues années plus t**d, le 11 mai 1765, débarque à Saumur un certain Joseph Louis Noble ; nom sûrement francisé.
Incroyable destin que celui de Joseph Noble que je vais vous conter !
En 1750, le capitaine James Jones Whidden, son épouse Abigail et sa famille s’installent sur l’ile de Swan Island – l’ile aux cygnes. Ils ont une vue sur la rivière Kennebec et sur ce qui aujourd’hui Richmond.
Le capitaine Whidden entretien de bons rapports avec les Abénakis avec qui il commerce.
Lazarus Noble épouse une des filles de Whidden, Abigail, ce qui le conduit à s’installer sur l’ile de Swan Island. Il existait également une garnison sur l’ile, pour protéger les habitants.
La vallée de la rivière Kennebec est une vallée fertile, et est la route principale pour la pêche, la chasse. D’ailleurs les Abénakis s’en servent pour chasser, pécher.
Les colons anglais qui veulent étendre leurs possessions y voient là un territoire à conquérir : rivières regorgeant de poissons, pouvant également faire tourner les moulins et les usines, des forets abondantes. Il ne pouvait se produire qu’un conflit ouvert, les Abénakis défendant leur territoire contre les colons anglais.
La colère grandit chez les Abénakis dont les cris de guerre et les tambours résonnent dans la forêt. Whidden ne s’en fait pas. Après tout il commerce avec eux, s’entend bien et les respecte.
Lorsque les Abénakis arrivent sur l’ile, l’effet de surprise est tel que les habitants présents sur l’île sont fait prisonnier, à l’exception de Widden et de sa femme qui se cachent dans le sous-sol de leur maison.
Parmi les prisonniers se trouve Lazarus Noble, sa femme et leurs 7 enfants, dont F***y et Joseph. Une longue marche commence, entre les différents villages Abénaki situées entre Montréal et Québec.
A Montréal se trouve un certain Louis de Saint Ange, un des plus grands marchands de Montréal qui possède en outre un « permis de traite », ce qui lui a permis d’acheter F***y aux Abénakis en 1752.
Joseph à supporté la longue marche malgré son jeune âge. Arrivé à Saint François, les prisonniers doivent chanter, danser, afin de changer de statuts : ils ne seront plus prisonniers, mais de futur membre de la tribu. Ceux qui refusent sont exclu.
Joseph va gravir les échelons au sein de sa tribu, et va même servir d’interprète dans le commerce de fourrures. C’est ainsi qu’il rencontre Louis de Saint Ange et apprend que sa sœur F***y est placé dans un couvent à Montréal pour faire des études.
F***y, avec son éducation, est devenue une jeune femme polie, accomplie et agréable.
Joseph lui est un homme athlétique, en habit Abénakie, portant des colliers et des broches en argent et le visage peint comme de coutume chez les Abénakis.
On pourrait croire que leur première rencontre depuis tant d’années soit magique.
Il n’en n’est rien : F***y ne reconnait pas son frère, lui fait peur et répugne même à lui parler.
Quelques temps plus t**d, Joseph revient vers les Saint Ange qui l'achètent aux Abénaki et l'habillent à la française avant de l'inscrire à l'école.
Alors qu'elle a 14 ans et qu'elle se trouve toujours au couvent, à Montréal, F***y reçoit l'ordre de la part du gouverneur de retourner à Swan Island à la demande de son père, Lazarus qui a chargé un certain Arnold de retrouver sa fille.
Alors qu'on lui accorde de revoir une dernière fois les Saint Anges, Joseph fait jurer à sa sœur de ne pas faire savoir où il se trouve afin qu'il ne puisse retourner à Swan Island.
En 1764, la famille de Saint Ange quitte Montréal. Dans leurs bagages se trouve Joseph. Ils vont habiter quelques temps à La Rochelle avant de prendre la route, direction Saumur.
Ils vont loger dans l’ancienne raffinerie de sucre de Saumur, tenue pendant de longues années par des Protestants, à l'époque de Duplessis Mornay.
En novembre 1765, Saint Ange décède et sa v***e déménage pour habiter une maison proche de l’église St Pierre.
Joseph quitte alors la famille Saint Ange. Sans argent, sans papier, il parvient à trouver un apprentissage chez Jean Baptiste Cruau, maître tailleur d’habit, rue Saint Nicolas.
Cruau connaît bien la famille de St Ange, c’est une des raisons qui fait que Joseph est entré en apprentissage chez lui. Et n’oublions pas que les indiens Abenaki ont l’habitude de réaliser eux-mêmes leurs vêtements.
En 1776, il épouse Suzanne Cruau, la fille de son maître apprenti, en l’église Saint Nicolas. Puis il habitera dans le quartier Saint Pierre, où il décédera en 1778, à l’âge de 38 ans.
Curieux destin, et tragique, que celui d'Ibora, Atoupa et Joseph.
Mais si à Saumur on ne trouve plus trace de l'histoire de ces indiens, de la colonisation du Nouveau Monde et du commerce entre les colons et les indiens il existe à Dénezé-sous-Doué, à la cave aux sculptures, une sculpture représentant ce lien.
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