08/08/2023
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Le Ministre Med Ali Toumi : un grand inconnu ou un grand méconnu ?
(Ou –Dans quelles circonstances j’étais témoin du parcours du Ministre du Tourisme)
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Le ministre du tourisme est indéniablement un pur produit des mouvements sociaux qui ont
eu lieu à partir de la fin de 2010. Il est témoin-acteur des bouleversements qui ont émaillé la scène socio-politico-médiatique de ces 10 premières années du changement (pas « ElMoubarak », mais « le bon » cette fois-ci). Il n’est pas un accident de l’Histoire, comme c’est
le cas de la plupart des ministres du tourisme qui l’ont précédé en Tunisie (nous y
reviendrons), mais plutôt l’incarnation d’une lame de fond qui a ébranlé l’édifice de l’ancien
régime (sans vraiment en venir à bout) et qui a (le temps d’une parenthèse de l’histoire
tunisienne) marqué avec sa génération ce qu’on a appelé la Révolution tunisienne , qui est en fait un mouvement de ras-le-bol de jeunes diplômés du supérieur accompagnés par d’autres, certainement plus nombreux, qui ont osé sortir dans la rue pour exprimer non pas un message politique précis, mais plutôt une désapprobation de la conduite des affaires publiques par une caste, un club privé, de politicards véreux, affamés, et égocentristes : ce sont des gens de la génération de l’indépendance, insatiables et voraces, qui ont accaparé le pays, et dont certains rescapés, aujourd’hui autrement déguisés, confisquent la Révolution : le ministre Toumi n’est pas de ceux qui ont enfourché la révolution quand elle était en marche : il fait partie de ceux qui l’ont souhaité, qui l’ont imaginé, qui l’ont osé.
Si Med ali a accédé à ce club restreint de gestionnaires de la chose publique, sa mentalité et son parcours l’exemptent de l’héritage des années sombres d’avant 2010.
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UN PEU D’HISTOIRE :
Je me rappelle de son intervention lors d’une des réunions du conseil d’administration de la
FTAV en 2008, où il a assisté en tant qu’adhérent de la FTAV, invité par Mohamed Hadhri et Tahar Ghannouchi (Allah Yarh’mou), et il a posé la question à l’adresse de tout le bureau élu, dont je faisais partie : « qu’est-ce que vous comptez faire ? » Question lourde de sens, qui indispose celui ou ceux auxquels elle est adressée, car elle interroge le conseil
d’administration sur un certain immobilisme, un manque de clairvoyance, un suivisme docile
et sclérosant. Cette question « dérangeante » était posée à l’époque par un jeune promoteur
d’Agence de voyages d’environ une trentaine d’années qui se posait des questions sur son
avenir dans cette profession ; qui voulait savoir si l’instance qui le représentait, en
l’occurrence la FTAV, avait une vision et une projection de notre activité dans les années à
venir, de sa préparation à la résolution des problèmes avérés et des mécanismes pour se
mobiliser et répondre à l’imprévu. Med Ali fait bien partie de sa génération : comme ces
dizaines de milliers de jeunes de la Tunisie des premières années du 21è siècle, qui ont eu des
parcours universitaires, qui sont des produits de la société de l’information, qui veulent
s’affirmer, qui veulent se mesurer à des modèles locaux sclérosés(« has been ») ainsi qu’à d’autres venus d’ailleurs. Ces jeunes, dont faisait partie Med Ali Toumi, que leur formation a armé en vue de contrôler et de dynamiser et qui se trouvent désarmés devant un système
accablant, « gériatrique », frustrant et très conservateur.
La question que nous a posé Mohamed Ali Toumi à l’époque « Que comptez-vous faire ? » a reçu la réponse conforme au moule idéologique de ce moment-là avec une mise en avant du « contexte délicat que traversait le pays », de la mobilisation « constante et bienveillante » de toute la hiérarchie jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, ainsi que des « lignes rouges » à respecter pour la cohésion sociale. Bref la réponse d’usage, prudente et politiquement correcte qui ne satisfait ni celui qui l’a posé ni ceux qui y ont répondu, c'est-à-dire les administrateurs
de la FTAV qui étaient à l’âge de la retraite pour certains et en âge de pré-retraite pour
d’autres.
Cette scène encore bien vivace dans mon esprit au bout d’environ une douzaine d’années était révélatrice de ce malaise ressenti par ces jeunes tunisiens, universitaires, diplômés, ouverts au monde, préparés pour participer à la gestion de la chose publique, et qui se trouvent ankylosés par un système statique. Les membres du conseil d’administration que nous étions, avions certainement perçu en ce jeune Mohamed Ali Toumi un questionnement légitime mais qui nous plaçait en face de notre seuil d’incompétence tracé par l’usage socio-politique. Tous les centres de décision, comme le nôtre en fait, n’en sont pas : ils se connectent entre eux pour servir de relais jusqu’au vrai centre de décision, le Saint des Saints, l’ultime point du haut de la pyramide, celui qui contrôle toute la chose publique et qui décide pour « notre Bien à tous »
La FTAV d’avant 2010 faisait partie de ce schéma global : paternaliste et autoritaire.
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Mohamed Ali Toumi et la FTAV 2.0 :
« Que comptez-vous faire ? » Telle était la question que posait la Nouvelle Tunisie à la
Tunisie d’hier.
Trois années après cet épisode, Mohamed Ali Toumi accédait à la présidence de la FTAV, et
durant 7 années faisait accéder l’institution, dans ses structures et sa philosophie, à la phase
post-révolution.
Le président Toumi a empilé 3 mandats à la tête de cette fédération, ce qui lui a fait engranger
une connaissance non négligeable du monde du tourisme, de ses centres de décision, de ses
atouts, ses faiblesses tant dans son volet local qu’international. Il a notamment côtoyé
plusieurs ministres du tourisme tunisiens qu’il a, du fait de son statut, accompagné dans leurs
déplacements professionnels et leurs meetings tant en Tunisie qu’aux grands événements
touristiques européens (Madrid, Berlin, Paris…). Il a une stature médiatique non négligeable
qui lui a ouvert les portes et les colonnes des médias locaux : son verbe franc et incisif, ainsi
que son physique de jeune premier, l’ont propulsé sur le devant de la scène médiatique
toujours à l’affût de jeunes talents, de visages nouveaux et surtout de «discours dérangeants »
pas toujours politiquement corrects : et il y avait de tout cela dans l’ex-président Toumi. Il
savait jouer de la voix, des intonations, des silences, des regards, des sourires en biais
moqueurs qui sont plus expressifs que le paragraphe d’un éditorialiste chevronné : un vrai
dramaturge qui utilisait à la perfection le verbe et la gestuelle pour appuyer son message. Il
n’en fallait pas plus pour que les Media l’adoptent et fassent appel à son expertise : la Tunisie
post-autoritarisme découvrait le show politique qui, après le JT de 20h:00, remplaçait l’ancien
feuilleton égyptien qui déclinait. L’icône Mohamed Ali Toumi a rejoint le « Hall of Fame ».
Ce qui en fin de compte était très bénéfique pour la corporation des Agents de voyages dont
l’organe représentatif, la FTAV, n’était connu que dans une sphère professionnelle très
restreinte : le personnage du président Toumi l’a propulsé sur la scène publique, ce qui
favorisait un certain climat de sympathie, qui était mis à contribution dans certains dossiers et
certaines revendications légitimes de cette fédération. MAT venait tout simplement de sortir la FTAV de l’anonymat du grand public pour l’arrimer au train des grands ténors de la société
civile : la nouvelle plèbe tunisienne avait besoin d’orateurs qui revendiquaient, qui
questionnaient, qui condamnaient (en somme qui alimentaient le show politique). Med Ali
Toumi avait besoin de cette assise populaire pour appuyer les revendications légitimes de la
FTAV.
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Le président Toumi à la tête de la FTAV : rupture ou continuité ?
Plus d’un aurait reculé avant de s’embarquer dans cette f***e aventure qu’était la FTAV au
lendemain des bouleversements sociaux. Notre génération (celle de l’indépendance), ne
trouvait plus « ses repères », hésitait devant l’inconnu, redoutait les débordements des jeunes
impatients qui découvraient l’ivresse du pouvoir dans la contestation : bref notre génération,
celle des anciens de la FTAV, était restée fidèle à son credo de toujours (ELLI KHAF N’JA)
trad. « celui qui considère la prudence sera sauf ». Je ne suis pas en train de jeter aux
oubliettes les anciens responsables de ma génération, mais plutôt en train de brosser une
représentation sociale de 2 générations de décideurs que l’âge et le contexte politique
opposent.
Je me rappelle encore de mon ami Mr Tahar Sayhi (Président de la FTAV au moment où j’y
étais en tant que vice-président) qui avait pour devise « KHOUDH OU TALEB », trad.
« prend ce qui t’est offert et continue de demander plus » ce qui était la norme du
politiquement correct à l’époque de l’autoritarisme politique.
Est-ce que le président Toumi était de cet avis ? Je ne le pense pas ; et il aurait été malvenu de
l’être : cela ne correspondait ni à son tempérament, ni à son âge, ni au contexte
« révolutionnaire » qui prévalait à partir de 2011. Mohamed Ali Toumi voulait pour la
corporation « TOUT, ET TOUT DE SUITE » ; c’était dans l’air du temps et c’était le
paradigme de la révolution : pas de limites dans le champ revendicatif.
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MAT et l’appareil administratif de la FTAV :
Quelle était la vision du président Toumi concernant l’appareil administratif de la FTAV ?
MAT a innové en dotant la FTAV d’une structure administrative permanente, non attachée à
une mandature, avec des pôles de spécialisation. Notre FTAV de l’ancien régime tournait
dans sa structure permanente, pendant de longues années, autour de 2 personnes, et je dirai
plutôt deux personnages, en l’occurence Si Abdellatif (Allah Yarh’mou) et l’incontournable
Sabah : un Directeur et une secrétaire. Les autres tâches financières, de secrétariat général
etc.. étaient assurées par les membres élus du conseil d’administration. Ce système a ainsi
fonctionné sous Si Naceur Mallouche (Allah Yarh’mou), Si Slah Glenza (Allah Yarh’mou),
Si Adel Boussarsar (Allah Yahfdhou), et Si Tahar Sayhi (Allah Yahfdhou).
Le président MAT a vu les choses autrement : il voulait une structure administrative solide
qui assure la continuité dans le suivi des différents dossiers, des négociations en cours et des
projets en gestation. Une démarche somme toute logique au moins pour 3 raisons : la 1ère est
que la charge de travail augmentait considérablement avec le pic de nouvelles agences de
voyages ; la 2ème est que les membres élus au conseil d’administration ne pouvaient être
mobilisables ni corvéables à volonté, étant donné qu’ils avaient en priorité la charge de la
gestion de leurs propres agences de voyages ; la 3ème raison, et non des moindres, est l’absence de motivation des membres élus pour un travail administratif accaparent pour lequel
ils ne sont pas spécialement préparés ni outillés.
Partant de ce constat le président MAT a mis sur pied un appareil administratif centralisateur,
formé de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur bien motivés, et au départ directement
suivis par lui-même, pour en fin de compte ne garder que celles et ceux qui adhéraient à sa
philosophie et se pliaient aux règles de la Nouvelle Culture d’Entreprise.
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QUELLE CULTURE ? DE QUELLE ENTREPRISE S’AGIT-IL ? (Ou le passage de l’âge artisanal à l’âge industriel)
Le passage de l’âge artisanal à l’âge industriel est venu en réponse à une conjoncture qui s’est
imposée pesamment du fait de 2 facteurs inédits : 1/Le désir de marquer la conjoncture
nouvelle par un sceau nouveau et 2/ l’arrivée massive de nouvelles agences de voyages
adhérentes. Stratégiquement parlant, pour faire face à ces impératifs, il fallait apporter des
réponses à 3 facteurs : le facteur logistique représenté en la matière par le recrutement de
jeunes diplômés dynamiques et motivés ; le 2ème facteur est le facteur idéologique matérialisé
par la formation des jeunes recrues, pour stimuler leur motivation et leur réactivité en
concordance avec la charte virtuelle de la culture de l’entreprise ; et le 3ème facteur, sans
lequel tout n’est que rêverie, est le facteur financier. Surfant sur les opportunités, MAT a
profité d’une réunion qui s’est tenue à l’hôtel Africa, à laquelle j’ai assisté en tant que gérant
de ma propre agence de voyages, en même temps qu’un grand nombre de confrères, et dont le
thème était « questions diverses intéressant la libéralisation du tourisme religieux (La Omra) »
…. Je me rappelle d’un MAT qui au cours de cette réunion, et après avoir bien ficelé le
dossier avec le Ministère des affaires religieuses, le ministère du Tourisme, la Banque
Centrale et aussi, tenez-vous bien, l’ambassade d’Arabie Saoudite, et où MAT en stratège
avisé, a imposé son image auprès de tous ces intervenants en tant qu’acteur incontournable
fédérateur de toute la corporation : il venait tout simplement de couper l’herbe sous les pieds
d’un certain lobby d’agents de voyages spécialistes de la Omra qui, naïvement, pensaient que
« libéralisation » rimait avec liberté absolue, et qu’ils allaient travailler sans compte à rendre.
MAT a devancé ces velléités auprès des 2 ministères cités, de la BCT et de l’ambassade
Saoudienne : ainsi aucun de ces intervenants ne voulait entendre parler de démarches
autonomes de la part des agences spécialisés Omra. Unanimement ces quatre intervenants ont
décrété qu’ils n’acceptaient qu’un seul vis-à-vis, la FTAV, en laissant le champs libre à celleci de faire le ménage chez elle : un coup de maître, il faut l’avouer.
En stratège averti, MAT a décrété au cours de cette réunion de l’Africa, que les agences qui
envoyaient des pèlerins en Arabie Saoudite devaient acquitter un forfait fixe par passeport
(pour reprendre une image en géopolitique qui est venue quelques années plus t**d mais qui
illustre bien ce coup d’échec de MAT : c’est un coup à la Trump, qui en s’adressant aux
monarchies des pays du Golf a dit : « si vous voulez que les USA continuent de vous protéger
vous devez payer »). Jamais la FTAV, de toute son histoire, n’a eu autant de recettes, donc
d’autonomie : elle a ainsi pu s’offrir ses nouvelles recrues et une administration moderne à la
hauteur de ses ambitions. Et c’est ainsi que s’est opéré ce que j’ai appelé plus haut le passage
de la FTAV, vue en tant qu’entreprise, de la phase artisanale à la phase industrielle.
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Faouzi Mejdoub